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Si vous n’avez rien compris à la querelle des « deux gauches »

Le duel entre Manuel Valls et Benoît Hamon, au second tour de la primaire à gauche, est devenu le symbole des divisions au sein du Parti socialiste.

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Publié le 27 janvier 2017 à 17h16, modifié le 27 janvier 2017 à 18h34

Temps de Lecture 7 min.

Lors du débat entre Benoît Hamon et Manuel Valls, mercredi 25 janvier.

« Le PS coupé en deux » (Le Parisien), « Le choc des deux gauches » (Le Figaro, L’Opinion), « Le duel à gauche » (Ouest-France), « Fracture ouverte » (Le Monde) : au lendemain de la primaire à gauche, la presse a décliné à l’infini le thème de la division, allant même jusqu’à prédire la mort du Parti socialiste. Si la crise est profonde, ce n’est pas la première dans l’histoire de cette formation politique, qui a souvent été traversée par des courants opposés, dont les lignes des désaccords ont beaucoup évolué. Si on peut parler de « deux gauches » au sein du PS, elles ont eu plusieurs visages au fil du temps.

Synthèse du débat d’entre-deux-tours : Valls-Hamon, un dernier débat à fleurets mouchetés

Quelles sont les lignes de fracture ?

  • La scission socialistes-communistes

Faut-il renverser l’ordre établi, par la révolution, ou améliorer le système existant par des réformes ? Cette question agite la gauche depuis plus d’un siècle et a même préexisté à la création du Parti socialiste. Elle a été partiellement réglée en 1920, au congrès de Tours, où s’est décidée la scission entre la SFIO (Section française de l’international ouvrière, ancêtre du PS) et ce qui deviendra le Parti communiste français, signataire de la IIIe Internationale communiste.

Malgré leurs divergences, les deux partis ont gouverné ensemble sous le Front populaire et pendant l’après-guerre, avant d’être relégués dans l’opposition durant la IVe et le début de la Ve République. La gauche est affaiblie par ses divisions, en particulier sur la question de la colonisation et du soutien à l’URSS.

  • Au sein du PS, la « deuxième gauche »

En 1971, au congrès d’Epinay, François Mitterrand parvient à réunir plusieurs partis de gauche pour conquérir le pouvoir : c’est la naissance du Parti socialiste. Il signe un programme commun avec le Parti communiste : réduction du temps de travail, augmentation des salaires, nationalisations…

Du point de vue idéologique, le PS conserve la ligne marxiste de rupture avec le système existant, contrairement à la gauche allemande : le Parti social-démocrate (SPD) a abandonné cette référence dès le congrès de Bad Godesberg, en 1959, pour accepter l’économie de marché.

En France, cette idée est portée par la « deuxième gauche », un courant au sein du Parti socialiste. Michel Rocard, qui en est l’emblème, la définit ainsi au congrès de Nantes en 1977 :

« La Deuxième gauche, décentralisatrice, régionaliste, héritière de la tradition autogestionnaire, qui prend en compte les démarches participatives des citoyens, en opposition à une Première gauche, jacobine, centralisatrice et étatique. »

Cette opposition idéologique, incarnée par le duel Michel Rocard-François Mitterrand, a marqué le Parti socialiste des années 1980 et 1990. Progressivement, la référence au marxisme s’est effacée au sein du PS, et les idées « rocardiennes » – social-démocratie, décentralisation… – se sont imposées, même si certains ténors du parti – à commencer par François Hollande – sont restés adeptes des positions de synthèse chères à François Mitterrand. Même au sein de la gauche plurielle, qui intègre les écologistes et les communistes au gouvernement de 1997 à 2002, il n’est plus question de contester frontalement les principes du libéralisme économique.

  • En 2017, le « futur désirable » face à la « responsabilité »

Manuel Valls et Benoît Hamon, les finalistes de la primaire à gauche pour la présidentielle, sont tous deux issus du courant rocardien et ont participé au même gouvernement de 2012 à 2014. Pourtant, ils incarnent deux courants opposés au sein du Parti socialiste, le premier sur l’aile droite, ou « réaliste », le second plus à gauche, prônant davantage la rupture et le « futur désirable ». Ils s’opposent sur plusieurs domaines :

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– l’orientation économique : Manuel Valls assume la réduction des déficits publics et la politique de l’offre, qui consiste à aider les entreprises pour favoriser l’emploi (CICE, loi travail…), démarche contestée par Benoît Hamon ;

– la valeur du travail : Manuel Valls veut l’encourager alors que Benoît Hamon envisage sa réduction, proposant un revenu universel décorrélé de l’activité ;

– la laïcité : Manuel Valls souhaite imposer l’autorité de l’Etat et une laïcité offensive face au fondamentalisme musulman, alors que Benoît Hamon défend la neutralité ;

– l’environnement : Benoît Hamon, qui prône la fiscalité environnementale, la sortie du diesel ou l’arrêt de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, a un programme assez proche de celui des écologistes, alors que Manuel Valls reste dans un modèle plus productiviste. Les ministres d’Europe Ecologie-Les Verts ont d’ailleurs refusé en 2014 de participer à son gouvernement.

D’où vient l’expression des « gauches irréconciliables » ?

« Parfois, il y a des positions irréconciliables à gauche, et il faut l’assumer. » L’expression, qui a été amplement citée ces derniers jours pour illustrer un état de guerre au Parti socialiste, a été prononcée par Manuel Valls en février 2016, lors d’un rassemblement à Corbeil-Essonnes (relaté par Libération), où il évoquait – déjà – la primaire à gauche. Mais la question qui se posait à l’époque était d’ouvrir largement cette primaire, jusqu’à Emmanuel Macron, au centre, et Jean-Luc Mélenchon, à gauche. C’est contre ce dernier et son soutien Clémentine Autain qu’était dirigée la phrase des gauches irréconciliables :

« Le problème n’est pas d’organiser une primaire qui irait de Mélenchon à Macron. Parfois, il y a des positions irréconciliables à gauche et il faut l’assumer. Moi, je ne peux pas gouverner avec ceux qui considèrent que François Hollande, c’est pire que Nicolas Sarkozy, ou que Manuel Valls, c’est pire que Jean-Marie Le Pen. »

Celui qui était alors premier ministre ne visait donc pas les socialistes, ni même les frondeurs, et encore moins Benoît Hamon, même s’il a par la suite eu des propos durs envers son adversaire de la primaire.

Est-ce la première fois que le PS est en crise ?

Bien sûr que non, comme pour tout parti ancien, qui a traversé des périodes au pouvoir et dans l’opposition, l’histoire du Parti socialiste est jalonnée de périodes de tensions, voire de déchirements.

Les congrès. Les grandes confrontations se manifestent le plus souvent lors des congrès, où se définissent les alliances et la ligne idéologique à long terme. Sans remonter au congrès de Nantes de 1977 (et son prolongement à Metz en 1979, où s’affirme le courant rocardien), le congrès de Rennes, en 1990, reste un mauvais souvenir pour les socialistes : sept « courants » (dont quatre pour l’aile gauche) s’affrontent sur l’héritage de François Mitterrand, et se quittent sans aboutir à une synthèse. C’est également à la suite du congrès de Reims, en 2008, que Jean-Luc Mélenchon décide de quitter le Parti socialiste pour former son propre mouvement, qui reprend les propositions les plus à gauche.

L’Europe. La question européenne est un autre motif de discorde. Si, en 1992, la majorité des socialistes appelle à approuver le traité de Maastricht (à l’exception de Jean-Pierre Chevènement), les positions sont plus éparses lors du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005. Plusieurs personnalités – dont Laurent Fabius, Arnaud Montebourg ou Jean Luc Mélenchon – défendent le « non » alors que la position officielle du PS est favorable au « oui ». Manuel Valls et Benoît Hamon penchaient pour le « non », même si M. Valls a finalement adopté la ligne du parti.

Les débâcles électorales. Le Parti socialiste a aussi beaucoup souffert des défaites électorales ; en particulier les législatives de 1993 (où le nombre de députés était passé de 275 à… 57) ou le « séisme » du 21 avril 2002, où le candidat socialiste n’a pas été qualifié au second tour, ont été des ferments de divisions.

L’usure de l’exercice du pouvoir. L’exercice du pouvoir n’est pas non plus sans danger. Ainsi, deux ans après l’élection de François Hollande, les départs du gouvernement d’Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et Benoît Hamon en 2014 ont créé une scission au sein de la majorité.

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Pourquoi évoquer aujourd’hui la « mort » du Parti socialiste ?

La primaire de 2011 avait écarté dès le premier tour les candidats les plus polarisés (Arnaud Montebourg à gauche et Manuel Valls à droite), en qualifiant François Hollande, plus centriste. En 2017, la primaire a au contraire accentué l’écart entre aile gauche et aile droite, rejetant pour l’instant toute idée de synthèse, qui est pourtant la marque de fabrique du parti. Manuel Valls peine d’ailleurs à admettre qu’il se ralliera à Benoît Hamon si celui-ci sort victorieux.

Pour la présidentielle de 2017, le PS se trouve dans la situation inédite d’être concurrencé par deux anciens membres de son propre parti. Sur sa gauche, Jean-Luc Mélenchon, présent comme en 2012. Sur sa droite, Emmanuel Macron, qui a été membre du parti entre 2006 et 2009 et qui a conseillé François Hollande dès 2010, avant d’être ministre du gouvernement Valls. Rallié par une partie de l’aile droite du PS (comme Gérard Collomb), ce dernier espère incarner la synthèse.

A quelques mois de la présidentielle, plusieurs sondages estiment que le PS risque d’être dépassé dans les urnes par ces deux concurrents. Mais si cette configuration est inédite, le Parti socialiste reste plus fermement implanté au niveau local, ce qui est un atout pour les législatives de juin.

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