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Pénurie de main d'oeuvre dans la restauration: la faute aux salaires?

Jugeant trop bas les salaires de la branche, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, attend des restaurateurs qu'ils "mettent des propositions sur la table". De fait les rémunérations, en salle comme en cuisine, restent faibles compte tenu des contraintes horaires.

Le gouvernement continue à mettre la pression sur les restaurateurs pour qu’ils augmentent les salaires. La ministre du Travail a été très claire sur le sujet ce week end.

Il y a des secteurs qu'on a massivement aidés dans la crise et qui aujourd'hui nous disent: on n'arrive pas à recruter. Eh bien il faut qu'ils se posent la question de pourquoi ils n'arrivent pas à recruter", a insisté Elisabeth Borne au micro de France Inter. Et d'ajouter: "j'attends qu'ils mettent des propositions sur la table".

Il est indéniable que les métiers de la restauration sont mal payés surtout quand on prend en compte les contraintes horaires propres à ce secteur. La grille de la convention collective qui décline le niveau minimum des salaires est assez éclairante. Aujourd’hui, un restaurateur peut se contenter de payer au smic (10,25 euros de l’heure), l’essentiel de son personnel: commis, serveurs, plongeurs et cuisiniers. La rémunération minimale est à peine plus élevée (5% de plus) pour un chef de rang ou un sommelier.

Un minimum de 1432 euros nets par mois pour un serveur à 39 heures par semaine

Cette grille salariale va de pair avec des horaires plus contraignants. A commencer par la durée hebdomadaire de travail. La convention collective prévoit 39 heures par semaine, les quatre heures supplémentaires devant être payées 10% de plus. Cette spécificité explique le niveau facilement plus élevé du "smic hôtelier" mensuel.

En prenant en compte les avantages en nature (principalement les repas) il s’élève à 1432 euros nets par mois pour un serveur ou un plongeur. A quoi s’ajoute les éventuels pourboires, qui beaucoup l’ignorent, doivent être déclarés par l’employeur et sont donc soumis à cotisation.

Bien sûr, certains établissements vont au-delà du minimum légal. La fourchette des rémunérations est en réalité assez large. Selon la dernière étude menée par la société de conseil Michael Page, le salaire annuel pour un chef de rang va de 17.000 à 25.000 euros bruts par an.

Sommelier et second de cuisine pas mieux payés qu'un vendeur de magasin spécialisé

Un sommelier et un second de cuisine commence à 20-21.000 euros et peuvent espérer doubler leurs salaires avec une bonne expérience. Une fourchette de rémunération assez proche de celle qui prévaut pour les vendeurs des magasins spécialisés. Alors que ces derniers disposent de largement plus de temps à consacrer à leur vie de famille.

En fait, une seule fonction est vraiment valorisée: chef de cuisine. En début de carrière, la norme tourne autour de 29.000 euros bruts par an. Et certaines maisons n’hésitent pas à payer 100.000 euros brut par an pour rester dans le haut du panier.

Mais pourquoi –hormis quelques rares exceptions- les salaires de cette branche d’activité sont-ils si peu attractifs? La loi de l’offre et la demande a sans doute longtemps permis d’éviter toute forme de surenchère. Tant que la plupart des employeurs trouvent du personnel acceptant ses conditions salariales, ils n’ont aucune raison de changer les choses.

L'intéressement ne concerne que 2,7% des entreprises du secteur

Mais cette même loi impose aujourd’hui de revoir ces conditions de rémunérations. Les employeurs auraient par exemple intérêt à ouvrir avec les organisations syndicales des négociations autour de la grille salariale de la convention collective, notamment pour donner davantage de perspectives, aussi bien à leur personnel qu'à ceux qui hésitent à travailler dans la restauration.

La question du partage des bénéfices avec les salariés devrait également être abordée. La participation est obligatoire dans les entreprises de moins de 50 salariés. Mais l'intéressement reste facultatif. Or quand on regarde le pourcentage d’entreprise ayant signé un accord d’intéressement, celles qui opèrent dans le secteur de l’hébergement-restauration sont les moins engagées. Seules 2,7% d’entre elles s’engagent à reverser une partie de leurs bénéfices sans y être contraintes. C’est cinq fois moins que la moyenne. Alors que dans le commerce, la pratique de l’intéressement est supérieure à la moyenne.

Avant la crise, 25% des entreprises du secteur dégageait plus de 36% de marges

Certes, les restaurateurs dégagent moins de bénéfices que les commerçants. En moyenne, avant la crise, le taux de marge moyen de la branche se limitait, selon l'Insee, à 18,5% contre 24,2% pour commerce. Mais malgré tout, un quart des restaurateurs dégageait, en 2018, une marge supérieure à 36%. Un niveau pour le moins confortable. Ces restaurateurs, qui gagnent bien leur vie, devraient donc montrer l’exemple sur le plan salarial.

Pierre Kupferman
https://twitter.com/PierreKupferman Pierre Kupferman Rédacteur en chef BFM Éco