La ritualité puyuma (Taiwan) Josiane Cauquelin
Les Puyuma, peuple de langue austronésienne, se divisent en deux groupes dialectaux possédant environ 60 % de cognats. Le groupe de Katipul, qui est « né d'une pierre», comprend environ 4 700 personnes 1 réparties dans 7 villages2 ; celui de Puyuma, qui est « né d'un bambou », compte environ 1 300 personnes dans un seul village, appelé Puyuma3. Les 8 villages sont localisés dans la plaine de Taitung, dans le sud-est de l'île de Taiwan. En fait, seuls les gens « issu du bambou » revendiquent l'identité de puyuma ; ceux « issus de la pierre » sont Katipul ou Ulibulibuk, selon le nom de leur village. D'ailleurs, pour les Puyuma, ce sont des étrangers, qalaqala, c'est-à-dire sujets à la chasse aux têtes. Les histoires puyuma foisonnent de descriptions de leurs relations conflictuelles avec ces voisins, tel le dépeçage du chef de Katipul ou la fuite de jeunes hommes de Katipul excédés par les incessantes humiliations des Puyuma.
La société présente une structure de moitiés, l'amont et l'aval (ami et timul). Traditionnellement, chacune des moitiés possédait une maison des adolescents et trois maisonnées-souches auxquelles étaient attachées trois maisons de culte aux ancêtres4. Chaque maisonnée-souche jouissait de trois maisons des hommes, bénéficiant chacune d'un terrain de chasse. La moitié de l'amont abritait les trois maisonnées-souches issues du couple originel « né du bambou » ; par contre, l'origine des ascendants des maisonnées-souches de la moitié de l'aval est inconnue.
En 1895, les Japonais occupent l'île. Dès le début des années 20, certaines maisons des hommes disparaissent. En 1929, dans le cadre de sa politique colonialiste, le pouvoir déplace tous les villages aborigènes. Puyuma est installé sur l'actuel site de Nan- wang, à quelques kilomètres seulement au nord de leur premier territoire. La déstructuration de la société est alors amorcée. Lors du transfert, l'administration autorise la reconstruction des deux maisons des adolescents5, mais d'une seule maison des hommes pour chaque moitié. En 1950, sous l'impulsion du nouveau gouvernement de Chiang Kai-shek, un maire puyuma, Orumakan, achève cette déstructuration en érigeant une seule maison des adolescents et une seule maison des hommes au centre du village. Il autorise, aussi, l'implantation de commerçants et de paysans taiwanais qui achètent à bas prix les terres puyuma.
En raison de l'extension de Taitung, le village se trouve, aujourd'hui, dans une position périurbaine, à 5 kilomètres de cette agglomération, et est éventré 6 par le grand
1 . Selon le recensement fourni par le gouverneur de la province de Taitung. Les statistiques japonaises établies entre 1900 et 1945 montrent une population à peu près stable. 2. Les villages de Alipai, Kasabakan, Katipul, Rikabung, Ulibulibuk, Bankio et Tamalakaw. 3. Nanwang pour l'administration taiwanaise. 4. Afin de simplifier, je parlerai dans la suite du texte de « maison des ancêtres ». 5. L'ethnologue taiwanais Chen Chi-lu (1965 : 99) mentionne qu'en 1953 les deux bâtiments existaient encore, mais que, lors de son passage en 1959, il n'en restait plus qu'un seul. 6. L'administration a respecté la structure de moitiés du village dans son tracé routier.
BEFEO 79.2 (1992), p. 67-101.
