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Récit

GPA : l’embarrassant cas thaïlandais

La situation de Pattharamon Janbua, mère porteuse contrainte d’assumer la charge d’un enfant trisomique et malade, relance le débat sur la gestation pour autrui.
par Arnaud Dubus, De notre correspondant à Bangkok
publié le 5 août 2014 à 20h06

Pour les Thaïlandais, et plus encore pour les Australiens, c'est le feuilleton de l'été, avec sa dimension dramatique et ses rebondissements. L'affaire a été révélée la semaine dernière par le quotidien thaïlandais Thai Rath, le grand journal populaire du royaume. Un couple infertile d'Australiens est venu l'an dernier pour engager une mère porteuse, par l'intermédiaire d'une agence spécialisée - une expérience banale en Thaïlande, où la maternité de substitution est devenue, du fait du cadre légal particulièrement flou, un commerce lucratif avec ses réseaux d'agents et ses grilles de tarifs.

La Thaïlandaise de 21 ans engagée pour l’occasion, Pattharamon Janbua, qui tient un restaurant de rue à Sri Racha, dans la province de Chonburi, proche de Bangkok, a mis au monde en décembre des jumeaux, un garçon et une fille. Mais des tests avant l’accouchement ont montré que le garçon, prénommé Gammy, souffrait de trisomie 21. A sa naissance, il s’est aussi avéré qu’il avait une grave malformation cardiaque. Aussi, du moins selon la version de Pattharamon Janbua, le couple est reparti en Australie avec la fille, en bonne santé, et a abandonné le frêle Gammy à sa mère porteuse.

«Sainte». Immédiatement après que le Thai Rath a révélé l'affaire, la presse australienne s'en est emparée, dépêchant des équipes de télévision sur place pour suivre Pattharamon Janbua et relatant au jour le jour la vie de «baby Gammy». Le Premier ministre australien lui-même, Tony Abbott, a réagi, considérant qu'il s'agissait «d'une histoire très, très triste» et qu'il «détestait penser qu'un enfant puisse être abandonné comme cela». Le ministre australien de l'Immigration, Scott Morrisson, a qualifié la mère porteuse d'«héroïne absolue» et de «sainte», tout en disant étudier comment Canberra pourrait «intervenir positivement».

De fait, Pattharamon Janbua, qui a déjà deux enfants, a indiqué qu'elle avait accepté de porter le bébé pour le couple australien parce qu'elle était fortement endettée. «J'ai pensé que je pouvais utiliser l'argent [11 000 euros, ndlr] pour payer l'école de mes enfants et pour rembourser mes dettes», a-t-elle expliqué. Quand les tests ont montré que l'un des deux jumeaux était atteint de trisomie, l'agence aurait poussé Pattharamon Janbua à avorter, mais celle-ci dit avoir refusé, considérant qu'il s'agit d'un péché selon le bouddhisme. Après le départ du couple australien, elle s'est occupée du bébé handicapé et ne veut plus, désormais, s'en séparer. «J'ai choisi de l'avoir, de ne pas lui nuire. Je l'ai porté dans mon ventre pendant neuf mois. Il est comme mon enfant», a-t-elle dit à la chaîne australienne ABC.

Saga. L'intense couverture médiatique aidant, un débat passionné s'est ouvert sur la maternité de substitution en Australie, où le cas de baby Gammy déchaîne les passions, notamment sur les réseaux sociaux. Beaucoup d'internautes s'en prennent au couple australien, barricadé dans sa maison de la ville de Bunbury, au sud de Perth. «Ce couple a abandonné ce bébé, l'a séparé de sa sœur jumelle, sans tenir compte du fait que c'était son enfant, ce qui est quelque chose de tout simplement inconcevable», réagit Rachel Kunde, directrice de Surrogacy Australia, une association qui s'occupe des mères porteuses. Une campagne de récolte de fonds organisée depuis vendredi par l'ONG australienne Hands Across the Water a récolté plus de 150 000 euros en trois jours. «C'est une bonne surprise. Nous ne nous attendions certainement pas à une telle réponse», réagit Peter Baines, le président de l'association, contacté à Sydney.

L'argent servira aux soins médicaux de Gammy, qui se trouve à l'hôpital à cause d'une infection pulmonaire liée à sa condition cardiaque. Le bébé devra subir plusieurs interventions chirurgicales pour remédier à cette malformation. «Ensuite, nous allons élaborer une stratégie à long terme pour l'avenir de Gammy», affirme Peter Baines.

Ultime rebondissement : après avoir gardé le silence durant plus d'une semaine, le couple australien, dont l'identité n'a pas été rendue publique, a donné lundi sa version de la saga à un journal australien. Il assure n'avoir pas «abandonné» Gammy et n'avoir jamais été mis au courant du fait qu'il était atteint de trisomie. Tout au contraire, le couple affirme qu'il voulait emporter le bébé avec lui, mais en avoir été empêché par les médecins à cause de sa malformation cardiaque. Les Australiens ont qualifié leur expérience avec l'agence basée en Thaïlande qui a joué les intermédiaires de «traumatisante». Bref, bien des points restent obscurs dans cette affaire, la mère porteuse thaïlandaise refusant d'ailleurs d'identifier l'agence.

Trafic d'humains. De son côté, la junte thaïlandaise qui a pris le pouvoir en mai a décidé de durcir les dispositions concernant la maternité de substitution. Il n'existe pas de lois dans le domaine, simplement des règlements édictés par le Conseil médical de Thaïlande, lesquels demandent à ce que la mère porteuse soit parente avec un des membres du couple infertile. Non seulement la junte a décidé d'appliquer strictement ces dispositions, mais elle a annoncé que tous ceux qui prendraient l'enfant d'une mère thaïlandaise, même avec son consentement mais sans l'autorisation du gouvernement, seraient désormais passibles des lois punissant le trafic d'êtres humains. Une nouvelle qui a pris à froid les centaines de couples infertiles étrangers en train d'effectuer des démarches pour trouver une mère porteuse en Thaïlande.

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