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Tunisie : l’inquiétante dérive autocratique du président Kaïs Saïed

Le chef de l’Etat a promulgué, mercredi 22 septembre, un décret ayant pour effet de concentrer encore plus de pouvoirs entre ses mains. Cette initiative met un terme brutal à une décennie d’apprentissage de la démocratie dans le pays.

Publié le 25 septembre 2021 à 10h42 Temps de Lecture 2 min.

Editorial du « Monde ». Le mythe du consensus démocratique tunisien vient de s’écrouler. L’homme qui en est le fossoyeur n’est autre que le chef de l’Etat lui-même, Kaïs Saïed, élu en 2019 à la faveur d’un vote antisystème. En promulguant, mercredi 22 septembre, un décret réécrivant les règles constitutionnelles dans le sens d’une concentration des pouvoirs à son profit, le président tunisien embarque son pays dans l’aventure d’un pouvoir personnel lourd de déchirures et de fractures.

La tentation de l’autocratie de M. Saïed, même drapée dans l’exaltation totémique du « peuple » et d’une « révolution » à relancer, met unilatéralement un terme à une décennie d’apprentissage (2011-2021) de la démocratie parlementaire. L’événement n’est pas seulement désastreux pour l’héritage démocratique en Tunisie même. Il l’est aussi pour l’ensemble du monde arabe, où le « modèle tunisien » scintillait comme une lueur d’espoir dans la sinistrose des dictatures ou des guerres civiles. Ce phare vient de s’éteindre.

Sans doute ne fallait-il pas se griser de beaucoup d’illusions après le coup de force du 25 juillet, qui sonnait l’acte I du nouveau cours des choses. Ce jour-là, Kaïs Saïed s’était arrogé les pleins pouvoirs en invoquant un « péril imminent » pesant sur la nation en vertu de l’article 80 de la Constitution. La population avait applaudi cette reprise en main, tant était profonde son exaspération devant les conflits politiques stériles à l’Assemblée, sur fond de dégradation socio-économique et d’emballement de la crise due au Covid-19.

Au bord de la banqueroute financière

Or, ce qui était censé être un geste d’autorité provisoire face à une paralysie à corriger installe en fait un régime d’exception dans la durée. L’acte II de l’aventure de Kaïs Saïed, le décret du 22 septembre, formalise plus avant la dérive autocratique en abrogeant tout un pan de la Constitution de 2014. Le président est désormais omnipotent pour élaborer une future révision de la Loi fondamentale. On en connaît déjà l’inspiration. Elle sera hyperprésidentialiste. M. Saïed n’a jamais fait mystère de sa détestation de la démocratie représentative, qu’il assimile à la confiscation du suffrage populaire. Il lui préfère le face-à-face sans médiation entre le souverain et le peuple.

Nul ne conteste les défaillances – corruption, échec socio-économique… – qui avaient entaché la décennie post-2011. Nul ne conteste la popularité dont jouit – à ce jour – le chef de l’Etat, en qui une partie de la population, désespérée, voit un sauveur providentiel. Toutefois, il était de la responsabilité de M. Saïed de rassembler plutôt que de diviser. Il lui revenait de préserver la culture du dialogue qui avait signé la singularité de la transition démocratique tunisienne, récompensée par un prix Nobel de la paix en 2015.

Or, le président a méthodiquement torpillé ce paradigme de la concertation. Il rejette sèchement les corps intermédiaires – forces politiques, syndicales et associatives – à la marge. Pis, il polarise, il exacerbe le conflit entre une Tunisie (le peuple) et l’autre (l’élite), à travers des imprécations de plus en plus belliqueuses contre les « traîtres » et les « vendus ».

Au bord de la banqueroute financière, la Tunisie ne peut s’offrir le risque d’une discorde attisée artificiellement. Il n’est pas trop tard pour en éviter le gâchis. M. Saïed devrait comprendre que, au-delà de l’abstraction du « peuple », la société civile tunisienne existe, que son histoire est partie intégrante de l’identité nationale. L’écouter confortera l’effort de redressement en cours. L’ignorer ouvrira sur le vertige de l’inconnu.

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