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L'accord cadre entre l'UE et la Suisse

L’accord-cadre négocié entre l’UE et la Suisse depuis plusieurs années vise à appliquer de façon plus homogène et efficace les accords bilatéraux, existants et futurs, portant sur l’accès au marché européen unique. Cet accord doit préciser quatre points de la voie bilatérale que sont la reprise de l’acquis  communautaire, l’interprétation du droit, la surveillance de l’application des accords concernés et la résolution des différends. Ces accords touchent plusieurs domaines dont celui de la libre circulation des personnes. La recherche de solutions institutionnelles est un gage de la poursuite de la voie bilatérale entre la Suisse et l’UE et de l’ouverture du nombre croissant de secteurs du marché intérieur européen. Il constitue un processus long et difficile. Le débat actuel met en exergue plusieurs points problématiques concernant notamment l’Accord sur la libre circulation des personnes. Le contexte est particulièrement difficile !

Chronologie des événements :

  • 18/12/2013 adoption du mandant de négociation par le Conseil fédéral 
  • 22/04/2014 début des négociations
  • 02/03/2018 précisions du mandat de négociation par le Conseil fédéral
  • 07/06/2019 approbation du rapport sur les consultations et demande de clarification par le Conseil fédéral

 

Le contexte 

A la suite du rejet de l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE) le 6 décembre 1992, la Suisse s’est engagée sur la voie bilatérale avec l’UE. Elle a ainsi conclu près d’une vingtaine d’accords principaux et de nombreux autres accords qui réglementent sa coopération avec l’UE dans certains domaines. La Suisse connait donc un haut degré d’intégration à l’UE par le biais de la voie bilatérale mais sans participation institutionnelle. Malgré cette intégration, les négociations concernant l’accès de la Suisse à des secteurs toujours plus nombreux du marché intérieur n’ont pas évolué, surtout en raison des questions institutionnelles non résolues. Le Conseil fédéral souhaite une intégration optimale au marché intérieur de l’UE et une coopération dans certains domaines, conjuguée à une indépendance politique le plus large possible. De son côté l’UE n’est pas disposée à conclure de nouveaux accords d’accès au marché avec la Suisse tant que les questions institutionnelles ne seront pas réglées. La conclusion d’un accord institutionnel s’inscrit, ainsi, dans la politique européenne que la Suisse a toujours privilégié afin de consolider et développer la voie bilatérale.
L’accord institutionnel porte uniquement sur cinq accords d’accès au marché : l’accord sur la libre circulation des personnes, l’accord sur le transport aérien, l’accord sur les transports terrestres, l’accord agricole,
l’accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évolution de la conformité (ARM). Il ouvre également la possibilité de conclure de nouveaux accords d’accès au marché avec la Suisse comme l’accord sur l’électricité. L’accord sur les marchés publics ainsi que l’accord de libre-échange

Le cadre institutionnel

Les questions institutionnelles se composent de quatre éléments principaux : la reprise du droit de l’UE, l’interprétation du droit, le mécanisme de surveillance et le règlement des différends. 

Il existe plusieurs façons de reprendre le droit de l’UE en droit interne. On parle ainsi de reprise automatique ou de reprise dynamique du droit. La reprise automatique est exclue pour la Suisse dans la
mesure où l’accord institutionnel ne prévoit pas que le droit de l’UE soit directement intégré dans le droit suisse. Ainsi, pour chaque adaptation d’un accord bilatéral, l’acceptation définitive par la Suisse ne se fera
qu’après l’accomplissement de ses procédures internes d’approbation (adaptation au droit national, approbation de l’Assemblée fédérale, référendum facultatif ou obligatoire). Il s’agit d’une reprise dynamique
du droit de l’UE, respectueuse des institutions helvétiques et non d’une reprise automatique. En substance, la Suisse est régulièrement consultée sur l’élaboration des développements du droit au sein de l’UE et peut faire valoir ses préoccupations. A titre d’exemple, dans le cadre de l’ALCP voté en 1999, le règlement  communautaire de sécurité sociale a fait l’objet d’une reprise dynamique (modification de l’annexe II ALCP) afin que ce texte soit applicable dans les relations entre la Suisse et l’UE pour régler les questions de sécurité sociale des personnes en mobilité transnationale et donc des frontaliers.

Le principe d’interprétation uniforme du droit concerne en premier lieux les tribunaux et les autorités. L’objectif est d’appliquer les accords de façon uniforme sur chacun des territoires (Suisse ou UE) afin de
conférer la plus grande sécurité juridique nécessaire tant pour les acteurs économiques que pour les particuliers. Ce principe n’est pas nouveau et existe déjà dans les accords d’accès au marché existants
tel l’accord sur la libre circulation des personnes. Les dispositions prévoient l’obligation de tenir compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne antérieures à la date de signature desdits accords, soit antérieure au 21 juin 1999 en ce qui concerne l’ALCP. Dans l’objectif de créer une situation juridique parallèle, dans le domaine de la libre circulation des personnes notamment, le Tribunal fédéral tient déjà compte de la jurisprudence pertinente de la CJUE, y compris lorsqu’elle est postérieure à la date de signature de l’ALCP, sauf s’il existe des motifs valables permettant de s’écarter de la jurisprudence récente. Avec l’accord cadre, les autorités et les tribunaux suisses devront tenir compte de
la jurisprudence pertinente de la Cour postérieure à la signature de l’accord institutionnel.

L’accord institutionnel ne prévoit pas la création d’un organe de surveillance supranational comme le prévoit l’accord sur l’espace économique européen. La Suisse et l’UE sont chacune responsable de l’application correcte de l’accord sur leur territoire respectif. La procédure de règlement de différends est également prévue par l’accord institutionnel. Concernant un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de l’accord institutionnel mais également concernant la reprise du droit, les parties contractantes doivent tenter de régler leurs oppositions au sein des comités mixtes concernés, comme c’est le cas actuellement. Si aucune solution n’est trouvée, la Suisse ou l’UE peuvent alors saisir le tribunal arbitral. Si le différend soulève une question d’interprétation ou d’application d’une disposition du droit de l’UE, le tribunal arbitral saisira alors la CJUE puisque la responsabilité, en matière d’interprétation du droit de l’Union européenne, incombe à la Cour. Ainsi, contrairement aux règlements des conflits au sein de l’UE, les parties ne sont pas autorisées à saisir directement la CJUE. La procédure de règlement des conflits demeure donc particulièrement complexe.

Les mesures concernant la libre circulation des personnes

L’ALCP est soumis à l’accord institutionnel et donc à la reprise dynamique du droit. Cependant, dans trois domaines, le Conseil fédéral a demandé à l’UE des exceptions à la reprise du droit. Sont ainsi concernées les mesures d’accompagnement, la directive relative au droit des citoyens ainsi que la révision du règlement européen de sécurité sociale. L’UE défend le point de vue selon lequel les mêmes conditions doivent s’appliquer à tous les acteurs du marché intérieur et des exceptions générales ne sont pas acceptables. La principale pierre d’achoppement est donc l’interprétation divergente de la libre circulation des personnes. Les fronts restent figés. Décidément, l’histoire se renouvelle puisque qu’en 1999, l’ALCP faisait déjà figure
d’accord soulevant d’importantes divergences entre la Suisse et l’UE. Malgré tout, l’UE a rappelé que la porte restait ouverte pour poursuivre les négociations afin de régler ces trois points litigieux qui ne peuvent,
en aucun cas, être extraits de l’accord institutionnel.

S’agissant de l’accord cadre, la première divergence d’opinion concerne la libre circulation. Pour la Suisse, la libre circulation concerne les employés et leur famille alors que pour l’UE, il s’agit de la libre circulation de tous les citoyens de l’UE. Est ici en cause la directive relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. La Suisse estime ne pas avoir à reprendre cette directive qu’elle analyse comme ne constituant pas un développement
de la libre circulation des personnes (au sens de la libre circulation des travailleurs telle que prévue par l’ALCP). Seraient alors problématique pour la suisse : l’extension des droits à l’aide sociale indépendamment
d’un emploi en Suisse ce qui, à son sens, risque de développer le tourisme social, l’extension de la protection contre l’expulsion des étrangers criminels, le droit au séjour permanent à partir de cinq ans de
séjour sur le territoire helvétique ainsi que l’octroi de droits politiques au niveau municipal. Pour l’UE, la directive sur la libre circulation des citoyens constitue un développement de la libre circulation des
personnes. En cas de persistance de divergence concernant cette question, le mécanisme de règlement des différends prévu par l’accord institutionnel serait applicable.

La seconde divergence concerne l’interprétation du droit du travail. Le Conseil fédéral a toujours affirmé que la protection des salaires en Suisse devait être garantie tout comme les mesures d’accompagnement qui constituent le dispositif de protection prévu à cet effet. L’UE juge quant à elle, que certaines  mesures d’accompagnement ne sont pas conformes au principe de libre prestation de services inscrit dans l’ALCP depuis 1999. La question n’est pas nouvelle puisque l’UE exige leur adaptation depuis plus de
dix ans. Ces mesures touchent les travailleurs détachés en Suisse tant en ce qui concerne les délais d’annonce préalable à toute prestations en Suisse, que le dépôt d’une garantie financière pour les travailleurs détachés et pour les prestataires ayant déjà contrevenu à leurs obligations lors d’une précédente prestation de services ainsi qu’une obligation de documentation pour les indépendants.

La coordination des systèmes de sécurité sociale

La Suisse applique le règlement (CE) 883/2004 relatif à la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale. C’est ce règlement qui édite des règles concernant les prestations des frontaliers dans le domaine de la protection sociale. Depuis 2016, une révision de ce règlement est en cours au sein de l’UE. Un des points essentiels de la révision concerne la compétence en matière de versement des prestations de chômage aux travailleurs frontaliers. La réglementation actuellement en vigueur prévoit que le frontalier au chômage total est indemnisé par son Etat de résidence. La révision prévoit le principe de la prise en charge du chômage des frontaliers par le pays d’emploi. (Voir article FM n° 145 de juin 2019 sur ce thème). Le processus de révision du règlement de coordination n’est pas encore achevé. Pour cette raison, la révision du règlement n’est pas mentionnée dans l’accord institutionnel. Pour autant que cette révision aboutisse
au sein de l’UE, les modalités de reprise des nouvelles dispositions du règlement de coordination devront être négociées, plus tard, au sein du Comité mixte. En cas de difficultés portant sur la reprise du futur règlement, le mécanisme de règlement des différends serait alors applicable. Indépendamment de tout accord institutionnel, on peut s’attendre à ce que l’UE demande à la Suisse de reprendre le futur règlement de sécurité sociale. Rappelons que, par le passé, la Suisse a toujours accepté de reprendre, dans l’ALCP les différentes modifications qu’a connu l’accord de coordination. En présence d’un accord institutionnel, tout différend portant sur cette reprise pourrait être traité de manière appropriée dans le cadre de la procédure de règlement des différends.

Des écueils en cascade

Après la votation helvétique du 9 février 2014 en faveur de l’initiative UDC « contre l’immigration de masse » et le refus de signer le protocole élargissant l’accord sur la libre circulation des personnes à la Croatie, les négociations sur l’accord-cadre ont été suspendues et les relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne se sont retrouvées dans l’impasse. L’engagement unilatéral du Conseil fédéral concernant la non-discrimination des citoyens croates de même que l’engagement en faveur d’une contribution financière visant à réduire les disparités économiques et sociales en Europe ont ensuite contribués à débloquer la situation et à relancer les négociations sur les questions institutionnelles. Malgré tout, depuis 2014, le dossier traîne en longueur. La décision du Royaume-Uni en juin 2016 de se retirer de l’UE a encore retardé les discussions avec la Suisse, l’UE souhaitant traiter, en priorité, la question du départ d’un de ses Etats membres, ce qui sera fait début janvier 2020. Les points d’achoppement entre les deux partenaires  demeurent et conduisent le Conseil d’Etat à prendre la décision, en juin 2019, de ne pas signer l’accord institutionnel. En avril 2021, la rencontre entre le Président de la Confédération Monsieur Guy Parmelin
et la présidente de la Commission de l’UE, Madame Ursula Von Der Leyen n’aboutit pas à une solution sur les points à clarifier. Malgré tout, les deux parties affirment que le dialogue reste ouvert.

Abandon de l'accord cadre

Après plus de 7 ans de négociations, la Suisse a décidé, le 26 mai 2021, d'enterrer le projet. À court terme, ce refus de la Confédération suisse n'aura pas de conséquences sur l'économie suisse, ni même sur la vie des frontaliers. Toutefois, les observateurs se disent très sceptiques quant aux futures relations entre l'Union européenne et la Suisse.

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