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Crise ukrainienne : un référendum en Crimée pour dire « oui » à la Russie

La Crimée vote dimanche 16 mars sur son rattachement à la Russie, sous la pression de Moscou.

Par  (Jérusalem, correspondant)

Publié le 16 mars 2014 à 06h56, modifié le 03 février 2022 à 13h01

Temps de Lecture 8 min.

Installation d'un bureau de vote en Crimée, le 15 mars.

La Crimée vote dimanche 16 mars sur son rattachement à la Russie et peu doutent du résultat : ce rattachement devrait avoir lieu, sauf recul de dernière minute de Moscou. L'alternative proposée aux électeurs est un statut d'autonomie accrue. Dans tous les cas, ceux-ci n'auront pas le loisir d'exprimer un refus plein et entier des manœuvres russes dans la région.

Le référendum, organisé en dix jours par des autorités régionales mises au pouvoir par l’armée occupante russe, est rejeté par l’ensemble de la communauté internationale. Samedi, au Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine s’est abstenue de voter une résolution occidentale dénonçant ce référendum, laissant la Russie s’y opposer seule.

Les bureaux ont ouvert à 8 heures du matin (7 heures, à Paris). 1,5 million de bulletins ont été imprimés en Crimée hors la ville de Sébastopol, au statut particulier, qui abrite la flotte russe de la mer Noire et qui tient son propre vote en miroir.

Une policière ukrainienne à l'entrée d'un bureau de vote à Simferopol, le 16 mars 2014.

Un groupe d’observateurs étrangers s’est fait connaître samedi à Simferopol, capitale régionale, pour donner un habillage de légitimité au vote, fort peu sérieux : des membres de partis d’extrême droite européens, le rédacteur en chef d’un obscur magazine américain, un Chinois sans affiliation particulière, un Ouzbek courageux qui s’étonnait samedi soir, de façon anonyme, de voir « des drapeaux russes partout sur les bâtiments officiels, alors que le vote n’a même pas encore eu lieu ».

Lire : Article réservé à nos abonnés Récit d'une annexion éclair

On pourrait connaître les premiers résultats dans la nuit, lundi matin au plus tard. Mais dans les faits, la péninsule a déjà fait sécession de l’Ukraine. Restent en question la réaction de Moscou à ce vote et celles des minorités partisanes de Kiev, notamment les Tatars (musulmans, 12 % de la population).

  • Un référendum organisé dans l'urgence

Le principe de ce référendum a été voté jeudi 27 février par un nombre imprécis de députés régionaux, à huis clos, dans le Parlement de Simferopol tenu depuis l’aube par un commando armé probablement russe. Ces députés, qui n’ont pas le pouvoir de voter des lois et encore moins celui de proposer un référendum, selon la Constitution régionale de 1998, proposaient au peuple de se prononcer “sur l’autonomie” de la région.

Il n’était alors pas question de rejoindre la Russie. Le même soir, les parlementaires nommaient un quasi-inconnu à la tête du gouvernement de région : Sergueï Aksionov, homme d’affaire au passé trouble. A la tête du parti Unité russe, il avait obtenu 4 % des suffrages aux élections régionales de 2010. Le lendemain, les troupes russes envahissaient la péninsule.

Jeudi 6 mars, le Parlement proposait en référendum le rattachement pur et simple à la Russie, ou un retour au statut d’autonomie élargie de la Crimée au sein de l’Ukraine défini par la Constitution régionale de 1992. La date en a été avancée deux fois : du 25 mai au 30 mars, puis au 16 mars.

  • Une péninsule verrouillée par les forces russes

Les soldats russes tiennent depuis le 28 février les routes de Crimée et les aéroports, où pas un vol ne décollait dimanche, sauf pour Moscou. Ils bloquent, encerclent ou contrôlent les bases militaires ukrainiennes.

Les 25 000 soldats russes du contingent de Sébastopol ont reçu depuis trois semaines des milliers de renforts, selon Kiev. Ils sont déployés illégalement dans la péninsule. Et Moscou continue d’envoyer des troupes.

Des soldats hissent un drapeau russe à Perevalne, le 15 mars 2014.

L’agence Reuters a constaté vendredi qu'un navire de guerre russe, le Yamal 156, débarquait des camions, des soldats et au moins un véhicule blindé de transport de troupes non loin de Sébastopol. Dans les villes, ces soldats laissent des milices prorusses et les nouvelles forces de sécurité du gouvernement de Crimée verrouiller l’élection.

Le Parlement, le siège du gouvernement, les bureaux de vote et les lieux de manifestations sont gardés par des 'volontaires' organisés il y a trois semaines autour du parti de M. Aksionov, qui rassemble aujourd’hui une partie d'un obscur Front de Crimée.

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Les cosaques locaux, force paramilitaire, ont reçu d’importants renforts de Russie, où ils bénéficient d’une reconnaissance officielle du Kremlin. La police et les forces anti-émeutes des Berkout, dirigées par deux frères aux ordres de M. Aksionov, Sergueï et Iouri Abisov, coopèrent avec ces forces.

A la veille du référendum, les nouvelles autorités ukrainiennes ont accusé la Russie d'avoir commencé une « invasion militaire » après l'arrivée de soldats et d'engins militaires dans la région de Kherson, située en Ukraine continentale, au nord de la frontière avec la Crimée. Environ 80 soldats ont déployé des hélicoptères et des véhicules blindés près de cette ligne de démarcation, dans la région de Kherson. Le ministère des affaires étrangères ukrainien affirme que l'armée russe a procédé à une opération héliportée sur un terminal gazier près du village de Strilkove, dans la région de Kherson.

  • Qui s’oppose à un rattachement à la Russie ?

La Crimée a été russe de sa conquête par l’impératrice Catherine II, au XVIIIe siècle, à 1954, date de son rattachement à l’Ukraine au sein de l’URSS, sur une décision essentiellement symbolique de Nikita Khrouchtchev.

A la chute de l’URSS, en 1991, les habitants de Crimée ont voté en faveur de l’indépendance de l’Ukraine à 53 %. La langue courante de la péninsule est le russe. Environ 60 % de la population de Crimée est d’origine russe.

Avant les évènements de Maïdan, ces Russes de Crimée se satisfaisaient du statut d’autonomie relative de la République autonome au sein de l’Ukraine. Les partis prorusses y obtenaient des scores négligeables aux élections locales depuis le milieu des années 1990, après une période d’agitation prorusse intense.

Lire : A Simferopol, le gouvernement appuie ouvertement l'intégration à la Russie

Cependant, les scènes de chaos de Maïdan, diffusées à outrance par les télévisions russes qui ont une forte audience en Crimée, ont fait peur. Le nouveau gouvernement de Kiev, qui compte dans ses rangs des membres de l'extrême droite, est perçu comme violemment antirusse.

Le régime de diète économique que prépare Kiev, au bord de la ruine, n’attire personne. Ainsi, malgré le verrouillage de l’élection, on peut attendre un vote sincère en faveur du rattachement d’une partie de cette communauté. Même si certains critiquent l’invasion russe et dénoncent un référendum organisé dans un climat de répression sévère.

Lire : Vu de Crimée : « C'est un gang qui tient le pouvoir à Kiev »

Ces critiques sont plus virulentes dans la minorité ukrainienne (20 % de la population), où l’on rappelle que la Crimée, région pauvre, dépend quasi entièrement de Kiev pour son approvisionnement en eau et en énergie.

Les principaux opposants sont les Tatars. Cette minorité musulmane (12 % de la population) a été déportée d’un bloc en 1944 en Asie centrale, sur décret de Staline, pour « collaboration avec l’occupant allemand ».

Revenue progressivement depuis 1989 en Crimée, elle a tout à perdre d’un rattachement à la Russie. Les autorités prorusses, soucieuses de maintenir la communauté silencieuse jusqu’au référendum, se sont engagées dans une opération de séduction des responsables du Majlis, le principal organe de pouvoir tatar.

Le Majlis considère ce gouvernement comme illégitime et appelle au boycott. Il devrait être largement suivi.

Lire : En Crimée, la déchirure des Tatars

  • Disparitions d’activistes politiques

L’organisation Human Right Watch a recensé six disparitions d’activistes politiques opposés au gouvernement prorusse, orchestrées par les milices. Dans la nuit de jeudi à vendredi trois membres d’une colonne réputée faire parvenir de la nourriture aux soldats ukrainiens assiégés ont disparu dans les rues de Simferopol.

Alexei Gritsenko et deux camarades ont été pris en chasse, en voiture, par trois 4 × 4. Des coups de feu ont été tirés, selon le père du jeune homme, Anatoli Gritsenko, ancien ministre de la défense ukrainien.

Les trois autres activistes ont disparu le 9 mars. Ils sont détenus sans charges en Crimée dans un lieu inconnu. Anatoli Kovalsky et Andriy Schekun, de Sébastopol, ont été arrêtés par des hommes en civil le 9 mars à la gare de Simferopol, puis emmenés hors du poste de police de la gare par des miliciens d’Unité russe.

M. Aksionov a affirmé qu’ils resteraient aux mains des « forces spéciales de Crimée » jusqu’au référendum.

  • Le sort des soldats ukrainiens de Crimée en suspens jusqu’à lundi

Une dizaine de bases militaires sont encore occupées par des soldats ukrainiens, qui refusent de se rendre ou de déposer les armes.

Le gouvernement local exige qu’ils rejoignent la balbutiante armée de Crimée, composée pour l’essentiel d’ancien cosaques et d’anciens militaires passés par les milices. Ils ont jusqu’à lundi pour faire allégeance ou pour quitter leurs bases et partir pour l’Ukraine.

Selon M. Aksionov, ceux qui refuseront seront considérés comme des groupes armés illégaux.

  • Quelle réaction de la Russie ?

Selon M. Aksionov, le rattachement de la Crimée à la Russie pourrait se faire en une semaine, mais il prendrait formellement jusqu’à un an. Reste à attendre la décision de Moscou, qui multiplie les signes démontrant sa volonté d’avaler la Crimée.

Ainsi, les députés de la Douma ont prévu d'examiner, le 21 mars, un texte de loi qui autorisera la Fédération à englober un territoire étranger en cas de « défaillance » de l'Etat dont il dépend.

La banque centrale de Russie travaille pour faire du rouble la future et unique monnaie de la presqu'île. Le ministère des finances promet une aide de 3 milliards de roubles (60 millions d'euros) aux deux millions de Criméens, en majorité russophones.

Le Parlement de Crimée a voté l’indépendance de la péninsule, mardi 11 mars, afin de faciliter le passage d’une souveraineté à l’autre.

Cependant, elle pourrait demeurer dans ce statut d’entre-deux, non reconnu par la communauté internationale, pendant des mois, voire plus, sans capacité de se soutenir économiquement hors des perfusions de Moscou.

L’unanimité est totale en Crimée pour ne pas suivre l’exemple de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, deux régions pauvres de Géorgie qui ont proclamé leur indépendance en 1991 et 1992 et qui ne sont reconnues que par Moscou, ou presque, depuis 2008.

Lire : La Russie programme l'annexion de la Crimée

L'Union européenne doit signer vendredi le volet politique de l'accord d'association avec l’Ukraine, auquel Vladimir Poutine opposait, jusqu’à la fuite du président Viktor Ianoukovitch, son grand projet  « d’union eurasiatique » avec les anciennes Républiques d’URSS. Le volet économique de l’accord d’association, dont l'application pourrait être difficile pour certaines entreprises ukrainiennes, doit être signé « plus tard ».

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