Il Caravaggio et les Héroïnes baroques à la Fondation Singer-Polignac
Honneur aux femmes, en ce lieu, avec ce programme et sous la conduite de cette cheffe-claveciniste : Camille Delaforge dirige notamment des œuvres de Mademoiselle Duval (dont Il Caravaggio ressuscitait Les Génies l'été dernier à Sablé), Beatritz de Dia, Élisabeth Jacquet de La Guerre, ou de compositeurs rendant hommages aux Femmes à travers les siècles (Louis-Antoine Dornel érigeant un Tombeau de Clorinde, Jean-Baptiste Lully présentant Les amours déguisés, Michel Pignolet de Montéclair s'inclinant devant La Mort de Lucrèce), le tout en la Fondation de Winnaretta Singer-Polignac (incontournable mécène de la vie artistique, de la Belle Époque aux Années Folles).
Camille Delaforge dirige en pantalon et veste de costume bleu marine ces répertoires qui (se) jouent des genres, avec la tradition des castrats ou des femmes incarnant des hommes ou des hommes incarnant des femmes (l'histoire de Clorinde mettant une armure pour partir aux Croisades étant à ce titre emblématique).
Camille Delaforge dirige du clavecin et de son sourire radieux, de bonds et rebonds du corps et parfois de la main droite, alliant avec élégante fougue sa délicatesse sautillée. Les autres instrumentistes complétant le quintette instrumental (deux violons, viole de gambe et théorbe) répondent à cet allant par un oxymore de lyrisme filé et dynamique, se distinguant par l'accompagnement expressif : avec d'autant plus d'agilité dansante pour replonger dans les coups de boutoir opératiques.
Abondance de bien vocal nourrit le volume et la matière sonore du soliste (fort) lyrique, Guilhem Worms, qui se fait conteur théâtral et vocal dans l'épaisseur du son mais aussi des sentiments. La puissance rend d'autant plus poignants les longs et saisissants silences, mais abondance de bien peut nuire, et ce volume vrombissant amoindrit d'autant (parfois nettement) l'intelligibilité du texte (qui aurait peut-être été garantie dans une salle bien plus grande : Guilhem Worms est désormais programmé dans l'immense vaisseau de la Bastille). Ses accents martelés distinguent certaines syllabes dans ces phrasés d'une rondeur extrême, mais son crescendo déploie le métal de sa voix jusqu'à la fusion brûlant les tympans. Les pleurs deviennent des torrents de larmes inondant la salle de leur volume, alors qu'il sait se faire caressant dans les quelques passages plus doux et aux deux extrêmes de la tessiture.
Victoire Bunel appuie, pour sa part, sa projection sur les accents de son médium vibré et vibrionnant, mais aussi sur les foudres de son regard de tragédienne. Sa voix, lyrique, a toutefois elle aussi des tendances à capitonner ce salon, entre le rayonnement de la matière et ses accents fléchés (non moins édifiants pour les grands écarts tragiques, entre fureur et lamentation).
Ce concert rythmé par la riche alternance entre de grands épisodes lyriques et des chansons à refrains se referme par un morceau d'Antoine Boesset dont le titre résume le ressenti et l'accueil du public : Nos esprits libres et contents.