L’Occident doit s’interroger sur l’objectif des sanctions économiques imposées à la Russie, sans quoi elles pourraient se révéler contre-productives, prévient Nicholas Mulder, historien à l’université Cornell (Etat de New York). L’ouvrage qu’il vient de publier, The Economic Weapon : The Rise of Sanctions As a Tool of Modern War (Yale Press University, 448 pages, non traduit), retrace comment, au XXe siècle, les Etats occidentaux ont utilisé blocus et embargos pour tenter de stopper des conflits. Et pourquoi ces mesures ont souvent échoué.
Les sanctions engagées à l’encontre d’un pays sont un instrument ancien. A quels moments sont-elles véritablement devenues une arme économique ?
L’utilisation du blocus contre une ville ou un pays lors d’un conflit remonte à l’Antiquité, et elle fut régulière au cours des guerres napoléoniennes. Pendant la première guerre mondiale, les populations de l’Empire ottoman, de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne ont été soumises à des blocus sévères – selon les estimations, plusieurs centaines de milliers de personnes sont mortes de faim.
En 1918, les vainqueurs ont décidé de conserver cet outil au-delà de la fin du conflit. Dans une économie déjà très mondialisée, le souvenir de l’expérience traumatisante des blocus en Europe centrale serait une menace suffisamment dissuasive pour éviter d’avoir à utiliser directement la force armée contre les Etats perturbant l’ordre international, pensaient-ils alors. La Société des nations [SDN], créée en 1919 sous l’impulsion des Etats-Unis, a ainsi été dotée de cette arme économique de dissuasion.
Votre ouvrage rappelle néanmoins que les mesures restrictives brandies durant l’entre-deux-guerres n’ont guère fonctionné. D’une certaine façon, elles ont même aggravé les tensions. Pourquoi ?
Au XXe siècle, les sanctions économiques se sont en effet souvent révélées contre-productives. Dans les années 1930, celles visant à arrêter les agresseurs, notamment l’Allemagne nazie et le Japon impérial, ont mis en lumière l’interdépendance économique des pays. Ce qui a poussé ces régimes, déjà idéologiquement enclins à se montrer très nationalistes, à chercher l’autosuffisance, afin de devenir imperméables aux pressions anglo-américaines et à lancer des conquêtes territoriales pour s’assurer des ressources vitales en matières premières. Plutôt que d’empêcher la seconde guerre mondiale, les embargos ont poussé ces Etats à se radicaliser un peu plus encore et ont accéléré les événements.
A quelles mesures économiques punitives le Japon des années 1930 était-il soumis ?
Il vous reste 75.37% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.