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Vente, nationalisation... que peut-il se passer si les entreprises françaises décident de partir de Russie?

TotalEnergies, Leroy Merlin ou encore Auchan ont réitéré leur volonté de rester en Russie, brandissant la menace d'une expropriation russe si elles quittaient le territoire. Si elle est réelle, elle n'est pas forcément souhaitable pour Moscou.

Etre ou ne pas être en Russie, telle est la question que se posent tous les jours les entreprises françaises. Sous la pression politique, les groupes tricolores sont pressés de quitter le pays pour ne pas alimenter les caisses de l'Etat russe, et donc indirectement la guerre qui fait rage en Ukraine.

Pour le moment, aucune entreprise n'a réellement quitté le pays. La plupart se sont contentées de suspendre leurs activités en attendant des jours meilleurs. D'autres comme les entreprises de la galaxie Mulliez (Auchan, Leroy Merlin, Decathlon…) n'entendent pas céder à la pression du président ukrainien.

TotalEnergies a aussi refusé de stopper ses activités gazières tandis que Renault a finalement suspendu ses activités industrielles jeudi.

Dès lors, quelles sont les options pour les entreprises? La plupart espèrent un retour rapide au monde d'avant, celui d'avant-guerre. Par exemple, LVMH maintient les salaires de ses collaborateurs en Russie pendant la fermeture temporaire des magasins. Mais l'évolution du conflit et les tensions diplomatiques grandissantes ne plaident pas pour une réouverture rapide.

Vendre ou être vendu

Faut-il alors vendre? C'est peut-être l'idée de Renault pour sa filiale locale. "Le groupe évalue les options possibles concernant sa participation dans Avtovaz, tout en agissant de manière responsable envers ses 45.000 salariés en Russie", indique le constructeur dans un communiqué.

Mais rien n'est simple. Les sanctions sur le système financier russe rendent les cessions complexes d'autant que les investisseurs russes (dont beaucoup sont aussi visés par les sanctions) n'ont pas forcément d'intérêt à se risquer à des achats massifs dans ce contexte d'incertitude.

Pas sûr non plus que le gouvernement russe laisse faire. Pour les entreprises étrangères, la principale menace est donc l'expropriation pure et simple.

"Fermer l'entreprise du jour au lendemain, fermer nos magasins, serait tout simplement un abandon considéré comme une faillite préméditée, donc illégale ouvrant la voie à une expropriation, qui renforcerait les moyens financiers de la Russie", affirmait cette semaine Adeo, maison mère de Leroy Merlin.

"Me retirer c'est donner ces 13 milliards à des Russes, pour zéro car personne ne peut les acheter", expliquait de son côté Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies. "Vous voulez que j'abandonne des actifs en Russie pour enrichir des Russes qu'on a mis sous sanction?"

Un argument fallacieux? "Il faut prendre la menace au sérieux. L'expropriation, c'est très classique, indique Arnaud de Nanteuil, professeur à l'université Paris Est Créteil et spécialiste de la question. Depuis toujours, c’est l'arme des Etats contre les entreprises étrangères. Aucune règle ne l'interdit. Elle est même juridiquement encadrée".

L'exemple Ioukos

Vladimir Poutine n'en serait d'ailleurs pas à son coup d'essai. En 2003, le nouveau maître du Kremlin se met en tête de récupérer le géant pétrolier Ioukos. La manière de s'y prendre est plus sinueuse: le PDG de Ioukos est arrêté pour fraude et le groupe poussé à la faillite avant d'être racheté par Rosneft, entreprise publique, lors de parodies d'enchères. Ioukos était certes russe mais elle était en partie détenue par des investisseurs étrangers, qui tentent depuis d'être indemnisés.

Dans les années 1970, le président libyen Mouammar Kadhafi avait fait plus simple en nationalisant directement la compagnie pétrolière British Petroleum (BP). Une expropriation crainte aujourd'hui par TotalEnergies notamment pour ses installations dans la péninsule de Yamal ou son projet Arctic 2.

En théorie, une telle décision doit se règler devant les tribunaux arbitraux internationaux mais les procédures sont longues (plus de 20 ans pour Ioukos) et coûteuses. D'autant que Vladimir Poutine s'embarrasse rarement du droit international. "Il n'y a pas de solutions juridiques face à un tel régime" reconnaît Arnaud de Nanteuil qui suppose que la Russie "ne va pas indemniser".

Dans ce cas, il est possible de saisir les actifs russes dans le monde. Mais pour cela, il faudra probablement revenir sur "l'amendement Poutine", glissé dans la loi Sapin votée en 2016, qui limite fortement les possibilités de saisies des biens étrangers en France. La jurisprudence française était en effet bien plus permissive et les ex-actionnaires de Ioukos espéraient bien en profiter en s'attaquant aux actifs russes en France. Le Quai d'Orsay avait alors choisi de calmer les tensions avec Moscou par cet amendement.

Un seul groupe vous manque...

Reste une dernière question: la Russie a-t-elle vraiment intérêt à exproprier les entreprises françaises? En Libye, la nationalisation de BP s'était avérée plus complexe que prévue, faute de compétences pour faire tourner la machinerie.

De la même façon, TotalEnergies n'est pas partie prenante des installations de gaz sibériens par hasard. La compagnie française a apporté ses financements mais aussi son savoir-faire pour exploiter des gisements très complexes à atteindre à travers le permafrost du grand nord. La Russie pourra-t-elle faire tourner les installations sans l'expertise de TotalEnergies?

Même chose pour les installations de Renault en Russie qui auront bien du mal à fonctionner sans l'aide du constructeur français.

"Avtovaz sans Renault aura du mal à faire tourner les usines, avec une intégration assez poussée dans la chaine logistique du groupe français. Les sites Avtovaz qui assemblent les Lada ont toutefois plus d’autonomie industrielle, avec 20% de pièces importées, alors qu’à l’usine Renault de Moscou, on est à 40%", explique Jean-Pierre Corniou, ancien DSI de Renault et associé au cabinet SiaPartners.

Enfin, l'expropriation de Leroy Merlin ou d'Auchan serait un coup dur financier pour les entreprises françaises mais, faute de fournisseurs et d'approvisionnements, les magasins en Russie pourraient rapidement devenir de grands entrepôts vides.

Finalement, entre l'Europe et la Russie, la rupture ne ferait aucun gagnant.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business