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À Paris, le musée de Cluny nouvelle génération illumine le Moyen Âge

À Paris, le musée de Cluny nouvelle génération illumine le Moyen Âge
Vue de la Salle 3, entre art roman et premier art gothique. Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge © Alexis Paoli, OPPIC

Rénové, aéré, modernisé, le Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge s’offre une nouvelle personnalité et c’est tant mieux. Après deux ans de travaux, mille années d’histoire sont enfin accessibles et compréhensibles par tous les publics.

« Accessible ». Le mot sonne, péremptoire. Pour le musée de Cluny tout neuf qui rouvre après deux ans de fermeture, c’était à la fois une ambition et une exigence. Ainsi que le précise Séverine Lepape, sa directrice, le programme de cette rénovation était clair : faciliter la circulation physique pour tous les publics et rendre intelligible un ensemble patrimonial unique en France. Symboliquement, c’est aussi le plus bel hommage que pouvait rendre le XXIe siècle à ces mille ans d’histoire qu’on nomme Moyen Âge. Voir, apprendre, comprendre, c’est le cadeau désormais offert à tous les visiteurs. Le projet était colossal, notamment au regard du bâtiment.

Un lieu qui fusionne Antiquité, Moyen Âge et XIXe siècle

En plein Quartier latin et pourtant protégé de la vie urbaine, le musée de Cluny est un amalgame ahurissant qui fusionne en son enceinte l’Antiquité, le Moyen Âge et le XIXe siècle. Romain par les thermes installés à Lutèce à la fin du Ier siècle, et intégré dans un vaste ensemble de plus d’un hectare devenu palais des rois mérovingiens, il a gardé de cette époque des murs formidables où alternent moellons de calcaire et bandes de briques. Plus une salle exceptionnelle, le frigidarium, qui a perdu ses placages de marbre et ses mosaïques mais conservé sa magnifique voûte de plus de quatorze mètres de hauteur, la dernière en territoire gaulois.

Vue intérieur du Frigidarium avec la statue d’un prêtre de Sérapis, dit Julien l’Apostat. ©P.Borgia-Musée de Cluny

Vue intérieur du Frigidarium avec la statue d’un prêtre de Sérapis, dit Julien l’Apostat. ©P.Borgia-Musée de Cluny

À la fin du XVe siècle, Jacques d’Amboise, puissant abbé de l’ordre de Cluny, en Bourgogne, y adosse son hôtel, confortable demeure dotée d’une émouvante chapelle gothique, à laquelle le XIXe siècle ajoutera des pastiches médiévaux, des créneaux sur le mur d’enceinte, des escaliers, des passages. Un lieu, au moins trois époques, qui se raccordent tant bien que mal. Résultat, vingt-sept ruptures de niveaux pour un seul musée. Et des architectes face à une gageure : faire entrer le lieu dans une impérieuse modernité, sans altérer son âme…

La chapelle de l’hôtel de Cluny, joyau de l’art gothique flamboyant ©Alexis Paoli - Oppic

La chapelle de l’hôtel de Cluny, joyau de l’art gothique flamboyant ©Alexis Paoli – Oppic

Un pari gagné

Inutile d’attendre pour l’annoncer, le pari est gagné haut la main. On en a la certitude dès l’accueil. Confié à l’architecte Bernard Desmoulin, l’espace a été ouvert en juillet 2018. Il réalise l’articulation entre la partie romaine, l’hôtel médiéval et le bâtiment XIXe et s’impose avec une légèreté d’une rare élégance : les murs de béton sable rappellent des panneaux de bois brut, l’escalier en Corian semble « un ruban léger prêt à s’envoler », comme le désirait l’architecte.

Escalier estRéalisation Paul Barnoud, ACMH, atelier Cairn Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge © Alexis Paoli, OPPIC

Escalier estRéalisation Paul Barnoud, ACMH, atelier Cairn Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge © Alexis Paoli, OPPIC

Les plaques en fonte d’aluminium patinée, un matériau utilisé pour la première fois depuis Jean Prouvé et emprunté aux usines automobiles, imposent leurs tailles et leurs reliefs différents, jouant de la lumière à l’infini. Les grilles ont repris le motif de dentelle de pierre, aérien et intemporel, de la porte tambour de la chapelle gothique. Le tout vient se poser sur les fondations romaines, surplombe l’annexe, l’une des plus anciennes maisons de Paris, et se voit sans s’imposer depuis le boulevard Saint-Michel. D’ailleurs, à la demande de la Direction régionale des affaires culturelles, le pavillon pourrait être démonté si des fouilles devenaient un jour nécessaires. Toutes les ruptures de niveaux ont donc été effacées, et pour ce faire la rue Du Sommerard, où se trouve désormais l’entrée du musée, a été refaite, et les trottoirs supprimés.

Le nouveau bâtiment d’accueil du musée de Cluny - Musée national du Moyen Âge, dû à l’architecte Bernard Desmoulin ©M. Denancé

Le nouveau bâtiment d’accueil du musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, dû à l’architecte Bernard Desmoulin ©M. Denancé

Grâce à trois ascenseurs, deux monte-personne, un escalier supplémentaire, le même circuit peut à présent être emprunté par le public valide et celui à mobilité réduite. C’était un engagement envers le ministère de la Culture, tutelle du musée, qui a débloqué la plus grande partie des vingt-trois millions d’euros pour le financement des travaux depuis 2015 (six millions ont été apportés par le musée sur ses ressources propres), confiant la maîtrise d’ouvrage à l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) et la préservation des bâtiments à la responsabilité de Paul Barnoud, architecte en chef des Monuments historiques.

Cluny nouvelle génération

L’innovation technologique n’a été qu’une partie de la rénovation. Pour faire naître ce « Cluny Nouvelle génération », il était nécessaire de le dépoussiérer intellectuellement et esthétiquement. « Dans les années 1950, on abordait le Moyen Âge par métiers et techniques, rappelle Séverine Lepape. Cette approche s’efface aujourd’hui devant la dimension historique, sociale et d’histoire de l’art. Nous avons donc pensé un parcours chronologique avec des pauses thématiques, beaucoup plus compréhensible. Cela a permis de rassembler des œuvres de la même origine, par exemple apôtres, vitraux et orfèvrerie de la Sainte-Chapelle. Et nous offrons un fil conducteur très esthétique. » La muséographie, pensée par Adrien Gardère, fait la part belle aux murs blancs, à la lumière (des baies, jadis masquées, ont été rouvertes), à des matières nouvelles d’une grande sobriété, comme le Viroc, ce béton composite gris ardoise, mais surtout au positionnement des œuvres.

Salle 6 - L’OEuvre de Limoges (XIIe - XIIIe siècle) Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge © Alexis Paoli, OPPIC

Salle 6 – L’Œuvre de Limoges (XIIe – XIIIe siècle), Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge © Alexis Paoli, OPPIC

La volumétrie de chacune des mille six cents pièces exposées (sur les vingt-huit mille que compte le musée) a été étudiée, projetée, leur signalétique entièrement réinventée pour concilier clarté et rigueur scientifique. Aucun doute n’est permis, la beauté des œuvres s’en trouve glorifiée. Si les six tapisseries de la Dame à la licorne sont toujours les vedettes incontestées, elles subissent la rude concurrence des couronnes votives du trésor wisigoth de Guarrazar ou des chapiteaux romans de Saint-Germain-des-Prés. Ou celle de l’incroyable coffret en ivoire dont les images sculptées racontent l’histoire de l’« Assaut du château d’amour ». Tout visiteur peut s’abîmer dans la contemplation des têtes des rois de Juda de Notre-Dame de Paris retrouvées en 1977 rue de la Chaussée-d’Antin, ou se retrouver dans le silence de la chapelle avec pour compagnons les treize têtes d’anges rendues au regard.

Les sculptures de Notre-Dame de Paris Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / René-Gabriel Ojeda

Les sculptures de Notre-Dame de Paris
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / René-Gabriel Ojeda

On n’entre plus au musée de Cluny par la porte familière de la petite place. Les nostalgiques invétérés regretteront peut-être le Cluny « belle endormie » loin du bruit et de la fureur des époques modernes, le castel biscornu, sombre, plein de dédales, d’escaliers quasi dérobés, de passages secrets, voire de chausse-trappes… Mais le musée a été rendu à la lumière et commence une nouvelle vie tout aussi magique. Il y a là une belle démarche culturelle démocratique. On ne peut que lui souhaiter un public nombreux et curieux.

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