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Billet de blog 8 février 2023

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Prix de l'électricité, artisans-boulangers : il est urgent d'agir !

Comment protéger les artisans-boulangers et les consommateurs face à l'explosion du prix de l'électricité ? Des solutions existent, encore faut-il avoir le courage de les mettre en place...

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Illustration 1

Si l’on en croit l’historien Emmanuel Leroy-Ladurie, l’une des raisons de la révolte du 14 juillet 1789 et de la prise de la Bastille est à rechercher dans la spéculation sur le prix du blé. En effet, profitant de la libéralisation du prix du grain imposé par le Cardinal Loménie de Brienne le 17 juin 1787 et d’une série d’intempéries, les agioteurs et autres profiteurs jouèrent à l’insu de leur plein gré un jeu dangereux. Parce que la gourmandise est un vilain défaut, les spéculateurs ont déclenché un mouvement populaire et politique qui a chamboulé l’Ancien régime et établit les bases de la France démocratique moderne.

Comparaison n’est pas raison mais il y a comme un écho de ces temps troublés dans les mouvements exceptionnels sur le prix de l’électricité, libéralisé sous la pression de Bruxelles, au prétexte de « fournir de l’électricité au prix le plus bas possible » (alinéa 8 du préambule de la Directive 2009/72).

C’est ainsi que les artisans-boulangers révèlent que les prix de l’électricité pour faire fonctionner leur four ou leur réfrigérateur va être multiplié par 4, voire par 10, pour l’année 2023. Avant d’étudier les conséquences prévisibles sur le tissu industriel, essayons d’abord de comprendre comme une telle explosion des prix est possible.

Un prix de l’électricité aussi artificiel que spéculatif

D’après la Cour des comptes (rapport juillet 2022), la consommation française annuelle d’électricité s’est élevée à 432 TWh en 2019. Dans le même temps, la production française représente 547 TWh, ce qui couvre l’intégralité de la consommation. De plus, 70,6 % de la production électrique française provient du nucléaire qui offre, par l’« ARENH » (soit « Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique »), à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics. Le prix est actuellement de 42 €/MWh et le volume global maximal affecté au dispositif est égal à 120 TWh/an.  

Mais, voilà les idéologues qui nous gouvernent trouvent judicieux de créer un marché de gros de l’électricité sur lequel, aux côtés des producteurs et des fournisseurs d’électricité, viennent intervenir des négociants qui achètent pour revendre et des opérateurs d’effacement qui valorisent la consommation évitée.

Dans les modèles mathématiques qui régissent ces marchés, la mécanique mise en place permet d’assurer une « meilleure liquidité ». En théorie. Car, dans certaines circonstances exceptionnelles (reprise économique post covid19, réduction de la capacité de production nucléaire (26 réacteurs à l’arrêt sur 59, en 2022), guerre en Ukraine, etc.), les marchés s’emballent et les spéculateurs s’en donnent à cœur joie. Le prix de gros dépend alors du prix de la source de production d’électricité la plus chère à produire (charbon ou gaz). Pour peu que le prix du gaz explose, cela se répercute artificiellement sur le prix de l’électricité ainsi cotée.

Mais là où on atteint les sommets, dignes du Père Ubu et de sa « pompe à Phynance », c’est quand l’on comprend que le prix facturé aux boulangers n’est pas le prix de revient de l’électricité (correspondant à l’ARENH) mais le prix affiché sur les marchés à un instant t (qui a atteint un plafond à 1.130 € / MWh le 26 août 2022) !

Autrement dit, les professionnels de l’électricité font payer aux artisans-boulangers un prix artificiel fixé par des spéculateurs et qui n’entrent que pour une part marginale dans la détermination du prix de l’électricité réellement produite et consommée.

Les conséquences de cette mécanique folle sont multiples.

D’abord et l’Etat se garde bien de le dire, dans une facture d’électricité, un tiers provient des contributions et taxes, qui, comme la TVA, sont calculée de manière proportionnelle au prix de l’électricité. Comme l’automobiliste, le consommateur d’électricité devient l’autre « vache à lait » du budget de l’Etat.

Ensuite, il n’a pas besoin d’être un économiste aussi féru que M. Bernard Arnaud, pour comprendre que si les prix de l’énergie augmentent de manière extraordinaire, l’artisan-boulanger dispose d’une alternative soit il dépose le bilan, soit il augmente le prix de la baguette. Dans le premier cas, la ruine de l’artisan s’accompagne de la mise au chômage d’environ 5 salariés par boulangerie. Dans le second cas, le prix de la baguette risque de passer de 1,20 € à 1,60 € voire 2 € ce qui constitue incontestablement une tension inflationniste de mauvais augure.

Mais, il y a pire. La disparition des artisans-boulangers touchera plus particulièrement les territoires délaissés par la République. Car, à force de faire « maigrir le mammouth », pour reprendre les idées préconçues des héritiers de Mme Thatcher, certains territoires ont été dépossédés des services publics essentiels ce « patrimoine de ceux qui n’en ont pas », selon l’heureuse formule du sociologue Willy Pelletier, coorganisateur du « Printemps des services publics ». Or, souvent dans le désert français, la boulangerie était devenue le dernier ilot de résistance à l’envahissement des grandes surfaces et proposait certains services de proximité trop vite disparus.

Que faire  ?

Avec son bagout légendaire, entre le bonimenteur de foire et « Lou ravi » de la crèche, Bruno Le Maire nous expliquera que le gouvernement a pris des mesures fortes pour venir en aide aux artisans-boulangers. Disons que la réalité est plus nuancée. Entre l’effet d’annonce et l’exécution sur le terrain, il risque de se passer plusieurs mois au cours desquels les artisans-boulangers devront d’abord payer des factures exorbitantes avant d’espérer voir une partie minime de ces factures prises en charge par l’Etat au titre d’un « amortisseur tarifaire » dont la complexité est la preuve de son inefficacité.

Pourtant, il existe une solution simple, compatible avec le droit européen. En effet, l’article 3-3 de la Directive 2009/72 autorise les Etats, « lorsqu’ils le jugent approprié », à veiller « à ce que les petites entreprises (à savoir les entreprises employant moins de 50 personnes et dont le chiffre d’affaires ou le bilan annuel n’excède pas10 000 000 EUR) aient le droit de bénéficier du service universel, c’est-à-dire du droit d’être approvisionnés, sur leur territoire, en électricité d’une qualité définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables, transparents et non discriminatoires ».

Ainsi, il est tout à fait envisageable que le gouvernement étende aux petits entreprises le « bouclier tarifaire » réservé à certains consommateurs et qui plafonne l’augmentation du prix de l’électricité à 15 % pour l’année 2023.

Illustration 2

Une telle décision constituerait une solution équilibrée et conforme à l’intérêt général (maintien de l’activité et de l’emploi, lutte contre l’inflation, protection des territoires, etc.). Faute d’écouter et d’entendre cette légitime revendication, la justice a été saisie. Si le Gouvernement continuait à faire la sourde oreille, il ne restera plus qu’à prendre les Bastille d’aujourd’hui pour que les petits marquis de Bercy tremblent dans leur pantouflage.

Signataires :

Jérémy Ferrer, boulanger (77), président de l’Union des artisans-boulangers indépendants,

Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris

Isabelle Nimal, boulangère (24)

Mélinda Vanhollebeke Croze, boulangère (05).

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