1 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.493

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00239

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er mars 2023




Cassation partielle


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 239 F-D

Pourvoi n° N 21-14.493




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER MARS 2023

La société Hôtel Negresco, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-14.493 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l'opposant à M. [P] [D], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Hôtel Negresco, de Me Balat, avocat de M. [D], après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 février 2021), M. [D] a été engagé par la société Hôtel Negresco à compter du 30 septembre 1986, en qualité d'ouvrier verrier, exerçant en dernier lieu les fonctions de miroitier.

2. La société a été placée en 2013, sous administration provisoire de Mme [F], dont les fonctions ont pris fin le 21 janvier 2021.

3. A la suite d'un accident du travail, le salarié a été déclaré définitivement inapte à son poste le 31 janvier 2017.

4. Il a été licencié le 4 avril 2017, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et le condamner à payer au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que les réponses apportées, postérieurement au constat régulier de l'inaptitude, par le médecin du travail sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l'employeur de l'impossibilité de reclassement ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que le 3 février 2017, postérieurement à l'avis d'inaptitude du salarié à son poste, l'employeur avait écrit au médecin du travail pour lui indiquer que compte tenu de l'importance des restrictions énoncées par ce dernier à l'aptitude du salarié, le reclassement paraissait impossible et lui avait néanmoins soumis la liste des postes disponibles, ce à quoi le médecin du travail avait répondu, le 6 février 2017, que les postes listés n'étaient pas compatibles avec les recommandations médicales, excluant donc par là même toute possibilité de mutation, transformation de ces postes ou aménagement du temps de travail ; que la cour d'appel a au demeurant constaté que le reclassement du salarié sur des postes existants dans l'entreprise n'était pas possible au regard des préconisations médicales ; qu'en affirmant cependant que l'employeur ne justifiait pas avoir recherché des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, dont la possibilité avait pourtant été exclue par le médecin du travail dans sa réponse postérieure à l'avis d'inaptitude, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

6. Il résulte de ce texte que lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, et que cette proposition doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

7. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir relevé que l'employeur avait effectué des recherches de postes en collaboration avec le médecin du travail et que le reclassement du salarié sur des postes existants dans l'entreprise ne s'avérait pas possible au regard des préconisations médicales dès lors que la société ne faisait pas partie d'un groupe permettant d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel et que l'employeur n'était pas tenu de dispenser au salarié une formation initiale qui lui faisait défaut ou de créer un poste, retient que l'employeur ne justifie pas avoir recherché des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, dès lors que le salarié soutient qu'il était possible d'adapter son poste de travail.

8. En statuant ainsi, alors que les réponses apportées, postérieurement au constat régulier de l'inaptitude, par le médecin du travail sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l'employeur de l'impossibilité de remplir cette obligation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. La cassation des chefs de dispositif jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnant la société Hôtel Negresco à payer au salarié des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société Hotel Negresco, représentée par Mme [F] en qualité d'administrateur provisoire, à payer à M. [D] la somme de 65 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de d'Aix-en-Provence autrement composé ;

Condamne M. [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Hôtel Negresco

La société Hôtel Negresco FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR condamnée à payer à M. [D] la somme de 65 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1. ALORS QUE l'employeur est libéré de l'obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement lorsqu'il n'existe dans le périmètre de reclassement aucun emploi disponible en rapport avec ses compétences professionnelles, au besoin en le faisant bénéficier d'une formation d'adaptation ; qu'en l'espèce, la société Hôtel Negresco soulignait que les postes disponibles lors du licenciement n'auraient pu être occupés par le salarié qu'avec une formation initiale, qu'il n'était pas tenu de lui faire suivre (conclusions d'appel, p. 11) ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que l'employeur ne justifiait pas avoir recherché des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, sans s'expliquer sur la compatibilité des postes disponibles avec les compétences professionnelles du salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

2. ALORS en outre QUE les réponses apportées, postérieurement au constat régulier de l'inaptitude, par le médecin du travail sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l'employeur de l'impossibilité de reclassement ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que le 3 février 2017, postérieurement à l'avis d'inaptitude du salarié à son poste, l'employeur avait écrit au médecin du travail pour lui indiquer que compte tenu de l'importance des restrictions énoncées par ce dernier à l'aptitude du salarié, le reclassement paraissait impossible et lui avait néanmoins soumis la liste des postes disponibles, ce à quoi le médecin du travail avait répondu, le 6 février 2017, que les postes listés n'étaient pas compatibles avec les recommandations médicales, excluant donc par làmême toute possibilité de mutation, transformation de ces postes ou aménagement du temps de travail ; que la cour d'appel a au demeurant constaté que le reclassement du salarié sur des postes existants dans l'entreprise n'était pas possible au regard des préconisations médicales ; qu'en affirmant cependant que l'employeur ne justifiait pas avoir recherché des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, dont la possibilité avait pourtant été exclue par le médecin du travail dans sa réponse postérieure à l'avis d'inaptitude, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

3. ALORS à tout le moins QUE lorsque l'employeur a établi l'impossibilité de reclasser le salarié inapte sur les postes existants de l'entreprise compte tenu de son état de santé, il incombe au salarié de démontrer que des postes disponibles auraient pu être transformés ou faire l'objet d'un aménagement du temps de travail de manière à devenir compatibles avec les restrictions imposées par le médecin du travail ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que le médecin du travail avait précisé que devaient être évités le travail en station debout prolongée mais également les postures pénibles (port de bagages, port de plateau et faire du service, port d'un aspirateur, de draps), ainsi que le port de charges lourdes (supérieure à 15 kg) et toute manutention ; que la cour d'appel a constaté que le reclassement du salarié sur des postes existants dans l'entreprise n'était pas possible au regard des préconisations médicales de sorte qu'il incombait au salarié de rapporter la preuve que certains de ces postes pouvaient devenir compatibles avec son état de santé après transformation ou aménagement du temps de travail ; qu'en reprochant cependant à l'employeur de ne pas justifier pas avoir recherché des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil, ensemble l'article L. 1235-1 du code du travail ;

4. ALORS encore plus subsidiairement QUE lorsque l'employeur a établi l'impossibilité de reclasser le salarié inapte sur les postes existants de l'entreprise compte tenu de son état de santé, un manquement à l'obligation de reclassement ne peut être retenu qu'à charge pour le juge d'identifier le(s) poste(s) disponible(s) susceptible(s) de devenir compatible(s) avec les restrictions imposées par le médecin du travail après transformation ou aménagement du temps de travail ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que le médecin du travail avait précisé que devaient être évités le travail en station debout prolongée mais également les postures pénibles (port de bagages, port de plateau et faire du service, port d'un aspirateur, de draps), ainsi que le port de charges lourdes et toute manutention ; que la cour d'appel a constaté que le reclassement du salarié sur des postes existants dans l'entreprise n'était pas possible au regard des préconisations médicales ; qu'en concluant à la violation de l'obligation de reclassement faute pour l'employeur de justifier avoir recherché des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, sans identifier quel(s) poste(s) disponible(s) au sein de l'Hôtel Negresco aurai(en)t pu, après de telles mesures devenir compatible(s) avec les restrictions médicales imposées par le médecin du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

5. ALORS QUE l'avis du médecin du travail s'impose aux parties et au juge ; qu'il résulte de l'article L. 4624-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 que le médecin du travail ne déclare un salarié inapte à son poste de travail qu'après avoir constaté qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation de ce poste n'est possible ; qu'en l'espèce, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste, excluant donc par hypothèse toute possibilité d'aménager ou de transformer ce poste ; qu'en relevant à l'appui de sa décision que le salarié soutenait qu'il était possible d'adapter son poste en limitant ses interventions au port des miroirs les plus légers, le médecin du travail ayant proscrit le port de charges lourdes supérieures à 15 kg et avait autorisé pour la position debout prolongée un seuil de 20 h par semaine, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 4624-3, L. 4624-6, L. 4624-7 et L. 4624-9 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et les articles R. 4624-31 et R. 4624-32 du même code dans leur rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 ;

6. ALORS en toute hypothèse QUE l'employeur soutenait que l'adaptation ou la transformation du poste de verrier occupé par M. [D] et auquel il avait été déclaré inapte était impossible, des miroirs de plus de 15 kg devant nécessairement être soulevés par le verrier de l'hôtel et M. [D] travaillant seul, à l'exception d'une assistance très ponctuelle par d'autres salariés, la création d'un poste d'assistant étant inenvisageable et ne pouvant être requise dans le cadre de l'obligation de reclassement (conclusions s'appel, p. 11) ; qu'en relevant à l'appui de sa décision que le salarié soutenait qu'il était possible d'adapter son poste en limitant ses interventions au port des miroirs les plus légers, le médecin du travail ayant proscrit le port de charges lourdes supérieures à 15 kg et avait autorisé pour la position debout prolongée un seuil de 20 h par semaine, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les adaptations invoquées étaient possibles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

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