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Loi industrie verte: «On ne réindustrialisera pas le pays uniquement en créant des start-up»

Emmanuel Macron s'adresse aux employés à côté du PDG de ProLogium Vincent Yang, lors de sa visite de l'usine Aluminium à Dunkerque, dans le nord de la France, le 12 mai 2023.
Emmanuel Macron s'adresse aux employés à côté du PDG de ProLogium Vincent Yang, lors de sa visite de l'usine Aluminium à Dunkerque, dans le nord de la France, le 12 mai 2023. PASCAL ROSSIGNOL / AFP

ENTRETIEN - Spécialiste des questions industrielles, Anaïs Voy-Gillis juge insuffisantes les propositions formulées par Emmanuel Macron le 11 mai. Ce discours sur la réindustrialisation de la France ne s'inscrit pas dans un projet de société clair, estime-t-elle.

Anaïs Voy-Gillis est docteur en géographie de l'Institut Français de Géopolitique et chercheuse associée à l'IAE de Poitiers. Ses recherches portent sur l'industrie et les enjeux de la réindustrialisation de la France, ainsi que sur la montée des nationalismes en Europe. Elle a notamment publié Vers la renaissance industrielle, coécrit avec Olivier Lluansi, Ed. Marie B, juin 2020.


LE FIGARO. - Devant des acteurs de l'industrie française, le président de la République a dévoilé jeudi 11 mai les grands axes du projet de loi «industrie verte», qui sera présenté ce mardi en Conseil des ministres, et les mesures pour mettre en œuvre cette accélération, financements publics à la clé. Que doit-on en retenir ? Que disent ces annonces de la vision de la société qu'a le président de République ?

Anaïs VOY-GILLIS. - À travers son discours, Emmanuel Macron a voulu mettre en avant les réussites industrielles depuis le début de son mandat et son propos s'inscrit dans la tradition «Saint-Simoniste» de la France. Le discours se veut résolument optimiste en mettant en avant les chiffres de création d'emplois et de sites industriels depuis 2017. Il est vrai que ces derniers mois nous avons eu plusieurs annonces d'implantations de nouveaux sites industriels montrant une dynamique positive autour de l'industrie. Néanmoins, il ne faut pas crier victoire trop tôt car la dynamique est fragile dans un environnement où la compétition mondiale est féroce et la situation géopolitique instable. La faiblesse dans le discours vient également du fait qu'Emmanuel Macron ne réinscrit pas son discours sur la réindustrialisation de la France dans un projet de société clair qui commencerait par répondre clairement à la question : que sera la France en 2050 ?

Les chiffres annoncés sont à prendre avec nuance. Par exemple, le nombre d'emplois nets créés dans l'industrie entre 2017 et fin 2022 est d'un peu moins de 100.000 équivalents temps plein. Il s'agit bien sûr de saluer cette évolution et de s'en réjouir, mais il faut également rester réaliste sur la fragilité de notre tissu productif. De la même manière, les annonces de création d'usines ne doivent pas occulter les fermetures de sites un peu partout en France en raison de la conversion du moteur thermique au moteur électrique. On peut également considérer l'indice de la production manufacturière française qui reste légèrement inférieur à 2015 selon les données de l'Insee, alors même que le plan de relance et «France 2030» sont passés par là.

L'industrie a considérablement évolué et des investissements pour réduire la pénibilité des postes ont été réalisés, mais il y a encore des postes usants et des rythmes de travail durs.

Anaïs Voy-Gillis

Le discours quant à lui s'inscrit dans la continuité du celui par lequel il avait annoncé «France 2030», en mettant l'accent sur l'emploi et l'attractivité de l'industrie, sur le foncier et les délais administratifs autour de la création de nouveaux sites et sur la décarbonation de l'industrie. Il s'agit donc de sujets qui seront couverts en partie dans la loi «industrie verte». Emmanuel Macron en a profité pour rappeler tous les fonds mis en œuvre depuis son arrivée au service de l'industrie. Ainsi, il veut montrer que la France répond à l'Inflation Reduction Act (IRA), notamment avec «France 2030» mais aussi en voulant introduire une notion de bilan carbone pour bénéficier de certains bonus. Tous les pays prennent des mesures de ce type, il faut simplement voir si la France tient cette proposition. Elle sera de nature à favoriser les productions nationales et donc à alimenter les carnets de commandes des usines françaises, ce qui me semble central pour espérer une réindustrialisation pérenne.

Emmanuel Macron a annoncé jeudi que 700 millions d'euros allaient être engagés pour installer les formations au plus près des étudiants, notamment dans des plus petites villes et dans les «métiers en tension». Est-ce suffisant ? Les difficultés de notre industrie s'expliquent-elles par un décalage avec l'offre de formation ?

Le manque d'attractivité de l'industrie est un réel frein à la réindustrialisation, d'autant qu'avec la désindustrialisation nous avons perdu de nombreux savoir-faire. Je ne suis néanmoins pas convaincue que cela soit suffisant. Aujourd'hui de nombreuses formations ne trouvent pas de personnes à former car l'industrie n'attire pas. Elle pâtit d'une image négative, mais il y a également une réalité qui est que certains métiers restent difficiles et pénibles. L'industrie a considérablement évolué et des investissements pour réduire la pénibilité des postes ont été réalisés, mais il y a encore des postes usants et des rythmes de travail durs. Ainsi, il y a plusieurs choses qui doivent accompagner des mesures sur la formation : montrer que l'industrie n'est plus l'emblème des relégations sociales et qu'elle offre des carrières d'avenir à travers des cas concrets, travailler sur les conditions de travail et de rémunération des postes les plus pénibles, en particulier ceux à la chaîne, et surtout faire s'exprimer ceux qui font tourner les usines. Ils sont les meilleurs ambassadeurs de l'industrie.

Emmanuel Macron n'a pas centré son discours de campagne de 2017 sur l'industrie, mais sur la « start-up nation » qui misait bien plus sur la « tech » que l'industrie.

Anaïs Voy-Gillis

L'industrie n'a pas l'apanage des métiers pénibles, mais elle a attaché à elle l'histoire de la désindustrialisation, celle de la condition sociale des classes ouvrières et des conséquences de la généralisation du travail à la chaîne avec l'émergence du fordisme. Il va donc falloir montrer que les choses évoluent et cela aussi par la manière dont on considère ces emplois et les personnes qui y travaillent. Ainsi, je crois qu'il est important de ne pas vouloir enjoliver la réalité en disant tout le temps «l'industrie ça n'est plus Zola (1885) ou Les Temps Modernes (1936)», heureusement que les choses ont évolué en 100 ans. Mais il est important de montrer la réalité telle qu'elle est, les progrès effectués et ceux qui restent à faire.

La réindustrialisation du pays a été un sujet mineur dans le débat public pendant des années. Comment expliquer le retour en grâce de ces thématiques ? Est-ce un effet de mode ou un revirement politique ?

En réalité, nous avons connu quelques événements précurseurs de ce retour de l'industrie dans le débat public. En premier lieu, je dirai la crise financière et économique de 2008 qui avait conduit aux États généraux de l'industrie, pour constater que nous avons un pays profondément désindustrialisé. Pourtant, l'industrie a continué de détruire des emplois et de voir des usines fermer. Ensuite, il y a eu le rapport de Louis Gallois en 2012 et la mise en place du Ministère du Redressement productif avec Arnaud Montebourg qui à travers ses 34 plans industriels souhaitait dessiner le futur industriel de la France. Néanmoins de nombreuses idées ont été abandonnées après son départ, alors que la France aurait pu prendre l'avantage sur certaines technologies d'avenir.

Emmanuel Macron n'a pas centré son discours de campagne de 2017 sur l'industrie, mais sur la «start-up nation» qui misait bien plus sur la «tech» que l'industrie. Une première réaction est venue avec les «gilets jaunes» où une réponse politique a été partiellement apportée avec la mise en place du programme «Territoire d'industrie», mais qui n'était pas doté de moyens propres. Ensuite nous avons eu la pandémie qui a provoqué une sidération chez beaucoup d'acteurs politiques, mais aussi chez les Français, sur la situation de dépendance industrielle et technologique de la France. Le mouvement serait sûrement retombé si la guerre en Ukraine n'avait pas débuté en 2022. Nous avons vécu des chocs d'ampleur qui nous ont montré nos fragilités, mais qui sont aussi le signe d'une profonde reconfiguration du monde. Nous ne savons pas quand la guerre en Ukraine va se terminer, nous sommes très incertains sur l'avenir de Taïwan et sur l'évolution en Asie pacifique, ainsi nous devons impérativement renforcer nos capacités de production et régionaliser les chaînes de valeur pour se prémunir d'éventuels chocs géopolitiques d'ampleur. Il convient de dire qu'en parallèle la doctrine de l'Union européenne en termes de politiques industrielles évolue, mais peine à assumer son rôle dans les rapports de force mondiaux.

La politique de réindustrialisation ne peut pas reposer uniquement sur l'attractivité des capitaux étrangers, d'autant que nous créons en moyenne moins d'emplois par projet que nos voisins, et sur le développement de start-up.

Anaïs Voy-Gillis

Ainsi, je crois que nous sommes confrontés à un vrai revirement politique. Les entreprises regardent comment sécuriser leurs approvisionnements comme Apple le fait aux États-Unis avec les semi-conducteurs. Toutefois, rien n'est gagné car nous avons consciemment laissé partir nos industries, plus graves nous avons vendu des actifs stratégiques qui auraient pu être la base des entreprises de demain. La réindustrialisation de la France n'est possible que si l'ensemble du pays décide de jouer pour son industrie, et cette remarque vaut en particulier pour nos élites, qui ont une responsabilité importante dans la désindustrialisation.

Le président de la République s'est réjoui des succès tricolores, et notamment de l'attractivité renforcée de l'Hexagone vis-à-vis des investisseurs étrangers. Son premier quinquennat et le début de son second ont-ils réellement été marqués par des succès industriels, comme il l'affirme ?

Il y a eu plusieurs annonces d'implantation de nouveaux sites en France, notamment dans le nord de la France. Toutefois, la politique de réindustrialisation ne peut pas reposer uniquement sur l'attractivité des capitaux étrangers, d'autant que nous créons en moyenne moins d'emplois par projet que nos voisins, et sur le développement de start-up. Nous avons bien entendu de ces deux phénomènes, mais nous devons également préserver le tissu industriel existant qui souffre de la crise énergétique et des transformations en cours comme les fonderies dans l'automobile.

Il faut également que nous renforcions nos outils pour nous prémunir de phénomènes de prédation sur nos entreprises stratégiques et nos pépites industrielles. Il faut faire attention à la doctrine qui contribue à distribuer des aides très largement, d'une part il s'agit de saupoudrage et d'autre part ça ne répond pas au sujet central : pas de réindustrialisation pérenne sans demande pour des produits français.


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4 commentaires
  • E6O8

    le

    En moyenne, les investissements étrangers créent 33 emplois par projet en France, contre 58 en Allemagne et 59 au Royaume-Uni.
    Et ces emplois en France sont en majorité pour des extensions d'activités étrangères qui existent déjà.

  • E6O8

    le

    La réindustrialisation est une impérieuse nécessité pour la France.
    Nous pouvons et devons la réaliser.
    Mais c'est impossible avec Macron au pouvoir, qui a passé son calamiteux 1er quinquennat à favoriser les délocalisations (la France sans usines), à vendre nos fleurons industriels, et à saborder le nucléaire français, pour s'attirer les votes écolos.
    .
    Sans compter le naufrage de l'Education Nationale et de l'enseignement supérieur, en particulier dans les filières scientifiques et technologiques, que Macron a systématiquement aggravé, notamment avec les catastrophiques réformes du Lycée et du Bac.
    Or pour réindustrialiser, il nous faut former bien plus d'ingénieurs, de techniciens supérieurs et d'ouvriers spécialisés...

  • Pline le Jeune

    le

    Que sera la France en 2050 ! Préambule indispensable à toute réflexion pour cette dame. Cela a été fait avec des Plans, des Clubs (de Rome) et la suite à toujours démenti ces visionnaires. Il peut être crédible de s’interroger sur l’évolution des sociétés au vue de la transformation des mythes de notre civilisation. Cela est bien plus large que la France qui peut vouloir marcher à contre.

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