Du 24 au 28 octobre se tiendra la 8e session du groupe de travail intergouvernemental, présidé par l’Equateur, sur les sociétés transnationales et les droits humains. Sa mission est, depuis sa création en juin 2014 par une résolution de l’ONU, d’élaborer un « instrument juridique contraignant », à savoir un traité international opposable aux entreprises multinationales qui enfreignent les droits humains.
La troisième version du texte a été présentée en février. Une mouture que les ONG trouvent édulcorée par rapport aux précédentes, car faisant une part encore trop belle aux « engagements volontaires », alors que, parmi la centaine d’Etats participants, certains entendent au contraire limiter la portée contraignante du texte.
L’enjeu est de taille. Dans ce domaine, c’est plutôt la soft law, le droit non contraignant, qui l’a emporté jusqu’ici, avec les « Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales » (1976), actualisés en 2011 et repris la même année par l’ONU, qui avait déjà, en 2003, demandé aux entreprises adhérentes au pacte mondial d’observer de « normes » de comportement. Mais comme l’observait la juriste Kathia Martin-Chenut, directrice de recherche au CNRS à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, lors d’un séminaire organisé le 15 septembre à l’Ecole des mines par la chaire « Théorie de l’entreprise », la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948 prévoyait l’extension de son application par tous les Etats à toute la société, y compris donc aux entreprises.
Mais les obstacles juridiques et politiques sur ce chemin sont nombreux. Tout d’abord, les entreprises, personnes morales, ne sont pas des sujets de droit international aux yeux des cours de justice. Le droit, note la juriste, « n’offre pas aux individus ou aux communautés des droits à réparation à la hauteur de la responsabilité des entreprises dont l’activité génère des dégâts » humains ou environnementaux.
Ensuite, les catastrophes ou les scandales impliquant la responsabilité des entreprises, depuis l’accident de Bhopal, en Inde (1984), jusqu’à celui du Rana Plaza, au Bangladesh (2013), ont suscité, face aux campagnes médiatiques, des mesures d’autorégulation, avec la multiplication de « normes volontaires », de chartes et de labels. Et la foi dans les vertus de la mondialisation a longtemps ralenti la volonté régulatrice des gouvernements.
« Boucle rétroactive »
Toutefois, ce foisonnement d’initiatives de soft law a trouvé son prolongement dans le droit à travers ce que la chercheuse appelle la « densification normative ». Le législateur, suivi du juge, a en effet de plus en plus encadré les conditions dans lesquelles les entreprises doivent communiquer et agir sur leurs engagements en matière de responsabilités sociale et environnementale. Les récentes directives européennes sur la transparence, adoptées (Corporate Sustainability Reporting Directive, publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises) ou en projet (Corporate Sustainability Due Diligence, devoir de vigilance ou de diligence en matière de durabilité), en sont la meilleure expression. Elles trouvent leur équivalent en Amérique, du Nord comme du Sud, ou en Afrique, à travers des lois encadrant les normes environnementales, les contrats d’investissements, la fiscalité.
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