Billet 

Elon Musk, premier diffuseur d’antisémitisme sur la planète

Pascal Riché

Pascal Riché

Il a pris la défense d’Alain Soral, condamné pour propos homophobes. Auparavant, il avait accusé une organisation juive de vouloir tuer Twitter et George Soros de vouloir détruire la civilisation…

Ce mercredi 4 octobre, Elon Musk, patron de X (ex-Twitter), de Space X (les fusées) et de Tesla (les voitures) a réagi à un tweet rapportant qu’Alain Soral, l’essayiste antisémite franco-suisse, a été condamné par un tribunal suisse à 60 jours de la prison pour avoir traité une journaliste de « grosse lesbienne ». Il écrit : « Ce qu’il a écrit était certainement impoli, mais une infraction pénale… ? » Son intervention dans cette affaire judiciaire, pour lui très lointaine et probablement anecdotique, a fait sursauter : pourquoi l’homme le plus riche de la planète (en alternance avec le Français Bernard Arnault) s’intéresse-t-il à cet obscur polémiste européen, si ce n’est qu’il l’a déjà repéré et qu’il connaît son pedigree ? On peut évidemment croire à un simple hasard. Une « mauvaise pioche ». Il ne savait pas que Soral était antisémite. Mais impossible d’exclure une explication plus simple : Elon Musk étant lui-même accusé d’antisémitisme, il prend la défense d’un antisémite.

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Depuis qu’il a acheté Twitter et « libéré la parole » sur le réseau (y compris les propos haineux, racistes, antisémite…), Musk est dans le collimateur des associations de lutte contre l’antisémitisme. Plusieurs de ses propres tweets ont eu une drôle d’odeur. Lorsque le milliardaire philanthrope George Soros, bête noire des antisémites de tout poil qui le soupçonnent de contrôler dans l’ombre la planète, annonce qu’il se retire partiellement du capital de Tesla, Musk se lâche sans crier gare : Soros lui rappelle Magneto. Dans les comics mettant en scène les X-Men, Magneto est un super-vilain, mais pas n’importe lequel : c’est un survivant de la Shoah, comme Soros. Le patron de Tesla twitte peu après : « J’aimerais m’excuser pour ce tweet ». Puis, une minute plus tard : « Il est injuste pour Magneto ». A un internaute qui lui fait remarquer que « Soros est attaqué sans arrêt alors qu’il a de bonnes intentions », le patron de Twitter répond : « Vous présumez qu’il s’agit de bonnes intentions. Elles ne le sont pas. Il veut éroder la fabrique même de la civilisation. Soros hait l’humanité. »

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L’obsession George Soros

George Soros commence à l’obséder. Il en fait son « nemesis », comme disent les Américains : son double maléfique, son ennemi personnel. Le 6 août, il explique que Soros « arbitre le jeu politique », mais qu’il le fait discrètement, non pas en finançant des campagnes importantes, mais en dépensant des « petites sommes d’argent dans de nombreuses compétitions électorales obscures, mais influentes ». Le 17 septembre, Musk revient à la charge : « L’organisation Soros semble ne rien vouloir de moins que la destruction de la civilisation occidentale », tweete-t-il. On retrouve le vieux fantasme de la conspiration juive visant à contrôler la planète. Le tweet de Musk est une version courte des « Protocoles des Sages de Sion », ce document fabriqué de toutes pièces par la police secrète du tsar russe au début du XXe siècle pour attiser la haine des juifs.

En mai, le premier tweet de Musk, celui sur le parallèle Soros-Magneto, avait fait exploser la prose antisémite sur Twitter. Le mot juif était alors apparu dans les « trends » (les thèmes tendance) du réseau. Le ministère des Affaires étrangères israélien s’en était ému : le tweet « à saveur antisémite du propriétaire et PDG de la plateforme, Elon Musk » a « provoqué une vague de théories du complot antisémites sur Twitter », constate-t-il. Problème : Musk a des intérêts en Israël. A Tel Aviv, de nombreux Israéliens travaillent pour Twitter. Tout en menant sa guerre contre le prétendu super-vilain Soros, il s’emploie depuis plusieurs mois à démontrer qu’il n’est pas antisémite.

Il a mis le Premier ministre Benyamin Netanyahou de son côté, et l’a invité à lui rendre visite en Californie : la rencontre a eu lieu le 18 septembre. Il raconte à qui veut l’entendre qu’il est allé, quand il était enfant en Afrique du Sud, dans une maternelle privée juive (les partenaires de son père, dans son entreprise d’ingénierie, étaient juifs) et que son prénom, « Elon » venait de l’hébreu אֵילֹן (qui signifie « chêne »).

Lors d’une discussion publique sur l’antisémitisme, fin septembre, il s’est lui-même décrit comme « pro-sémite » et même « aspirationnellement juif », une drôle de formule. Il a tellement d’amis juifs qu’« à certains égards, je suis un peu juif, dans le fond ». Il s’agit du même genre d’argument qu’utilise son pote Kanye West qui, pour se dédouaner des accusations d’antisémitisme, affirme qu’il veut « embrasser chaque personne juive » et qu’il est jaloux de la « culture juive ». Rappelons que le compte de Kanye West avait été bloqué en décembre 2022 quand ce dernier avait clamé « j’aime Hitler ». Mais Musk est fier de l’avoir rétabli en juillet dernier. Que voulez-vous, le boss est contre la censure ! Il a ainsi clairement indiqué qu’il était hostile au retrait des messages antisémites, estimant que l’ajout d’« avis contraires » sous les messages signalés par les internautes était bien plus efficace. La censure, a-t-il expliqué lors de cette conférence, c’est un truc que les nazis aimaient : « ils l’aimaient vachement ». Ne pas censurer les tweets antisémites, à suivre la logique de Musk, c’est prendre le contrepied du nazisme !

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Une campagne contre l’« Anti-Defamation League »

Avec Soros, Elon Musk avait franchi une première ligne rouge. Avec sa campagne contre l’ADL, il en a franchi une deuxième, plus visible encore. L’Anti-Defamation League (ADL) est une organisation fondée par l’organisation juive B’nai B’rith. Son objet est de défendre les juifs contre toute forme d’antisémitisme et de discrimination. On comprend qu’elle passe du temps à scruter l’évolution de Twitter, qui n’est pas le plus gros des réseaux sociaux, mais qui reste influent dans le champ politique et médiatique. L’ADL a donc publié des communiqués pour dénoncer le déchaînement des posts antisémites sur Twitter. Elon Musk a trouvé là un bouc émissaire parfait, dans la grande tradition antisémite. Tous ses problèmes viennent de l’ADL. Son réseau social X prend l’eau, financièrement, ce que tout le monde attribue à sa gestion catastrophique : il invente chaque semaine une nouvelle règle, change son nom, dégèle des tas de comptes haineux… Pas très étonnant que les annonceurs en deviennent frileux. Mais pour Musk, la raison principale de ses déceptions financières n’est pas là. C’est l’ADL, qui mine secrètement les fondations de son nouveau joujou :

« Nos revenus publicitaires aux Etats-Unis sont toujours en baisse de 60 %, principalement en raison de la pression exercée sur les annonceurs par @ADL (c’est ce que nous disent les annonceurs), ils ont donc presque réussi à tuer X/Twitter ! » .

Les messages antisémitisme augmentent sur X ? ADL encore !

« L’ADL, parce qu’elle est si agressive dans ses demandes d’interdiction des comptes de réseaux sociaux, même pour des infractions mineures, est ironiquement le plus grand générateur d’antisémitisme sur cette plateforme ! »

Faire des juifs les responsables de l’antisémitisme est une vieille ficelle antisémite…

L’ADL fait depuis l’objet d’une campagne de dénigrement sur Twitter, campagne ouvertement antisémite, menée par de vrais nazillons, avec comme hashtag «#banTheADL » (interdisons ADL). L’organisation est accusée d’agresser « l’Amérique blanche » ou les « valeurs chrétiennes » . C’est bien Musk qui a allumé le feu et soufflé sur les braises.

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Elon Musk est-il antisémite ? Ce qui est certain, c’est qu’il est indifférent au sort des victimes de l’antisémitisme et qu’il contribue à faire monter ce dernier, à l’intérieur des Etats-Unis et au-delà. Il est l’un des hommes les plus puissants du monde. N’y a-t-il pas là un léger problème ?

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