La violence multiforme qui s'attaque aux Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie - reconnue comme potentiellement génocidaire par de nombreuses instances internationales, dont la Cour Internationale de Justice - va crescendo. Comme l'écrivait l'infatigable journaliste israélienne Amira Haas, on ne sait si l'on doit plus plaindre les morts ou les vivants, qu'ils soient blessés physiquement voire amputés, qu'ils soient blessés psychiquement, endeuillés, dépouillés de toute possession, qu'ils soient dans le froid, la soif, la faim, et la maladie, ou tout cela combiné.
Dans le monde entier, au delà de nombreux Etats et organisations, des dizaines (centaines ?) de millions de personnes ont, au cours des derniers mois, manifesté leur indignation et leur soutien, que ce soit par le biais d'actions chocs ou de manifestations géantes dans des mégapoles telles que Londres, Mumbai, New York, Rio ou Tokyo.
A Grenoble, comme ailleurs, les manifestations ont été nombreuses et elles se poursuivent. Ainsi, au cours des dernières semaines ont eu lieu, entre autres, de nouvelles manifestations, de nouveaux rassemblements, des actions culturelles, des appels au boycott d'entreprises françaises soutenant la colonisation israélienne en Cisjordanie ou l'intervention militaire actuelle à Gaza, telles que Carrefour, ciblée par la campagne BDS (Boycott, Divestment, Sanctions)... Tous les dimanches matin se retrouvent désormais tous ceux qui souhaitent courir - ou marcher, c'est au choix - pour Gaza (pour tous ceux qui souhaitent combiner activité saine et engagement pour la paix et le respect des droits de tous, rendez-vous les dimanches à 10h, place de la gare).
Enfin la semaine prochaine, du 26 février au 3 mars aura lieu la Semaine pour la Palestine avec un riche programme alliant projections de films, conférences, activités pour enfants et adultes ou concerts (notamment le Choeur Amwaj de Palestine, l'un des fruits de la coopération Grenoble-Bethléem). Dans ce cadre est notamment organisée, mardi 27 février, une table ronde sur la résistance dans le Vercors avec deux guides du Vercors, l'une française, l'autre palestinien, spécialisés dans les visites des lieux de la résistance. Une randonnée dans le massif encadrée par un guide des montagnes palestinien est également prévue jeudi 29 février.
C'est un peu par hasard qu'il m'a été donné de voir la réaction de membres d'un réseau social de randonnée à ce projet. L'un des membres a réagi à l'annonce de la randonnée de jeudi prochain en réclamant "par pitié", de ne "pas polluer cette page avec de la politique ou de la religion d'aucune sorte", "sujets clivants faits pour diviser les gens" alors que "la randonnée, par contre, peut réunir des gens de toutes races, religions ou classes sociales". L'auteur/rice de ces lignes ajoutait : "en montagne, on dit bonjour à tout le monde et on parle de montagne, pas de politique ou de religion, MERCI". Une autre personne écrivait quant à elle : "On fait de la politique pro-terroriste sur cette page de rando, la honte".
Évidemment, moi qui suis hantée par ce qui se passe au Proche-Orient depuis près de cinq mois et par l'effroyable prix payé par les enfants qui devraient pourtant être protégés ; moi qui ai grandi dans une famille dans laquelle les deux guerres mondiales étaient évoquées souvent, notamment l'expérience d'un de mes oncles dans le Vercors, je peux me tromper dans mon interprétation. Peut-être que j'accorde trop d'importance à des réactions peut-être un peu irréfléchies sur réseau ? Peut-être les randonneurs choqués font-ils partie des personnes qui s'informent peu et ignorent notamment qu'à Gaza, c'est une population composée pour moitié d'enfants qui est bombardée et assiégée depuis près de cinq mois, que toutes les instances de l'ONU et ONG humanitaires dénoncent un carnage qui cible tout particulièrement civils et hôpitaux, un carnage qui a déjà tué plus de 29 000 personnes, près de 70% des femmes et des enfants, et blessé plus de 69 000 personnes ? Peut-être ignorent-ils que la Cour Internationale de Justice a reconnu le 26 janvier dernier, à la demande de l'Afrique du Sud, le risque de génocide, et peut-être ignorent-ils également que dans un tel cas, c'est l'ensemble de la communauté internationale - organisations internationales, États et citoyens - qui a une obligation de réagir pour protéger les victimes d'une telle violence ?
Il est fort probable que les randonneurs choqués ne suivent pas vraiment attentivement politique et droit international. Il y a cependant dans les réactions de ces amateurs d'un Vercors paisible et apolitique détaché des misères de notre monde, et plus particulièrement de celles du peuple palestinien, quelque chose qui me trouble profondément. Cela me trouble d'autant plus que nous parlons d'un massif qui a accueilli des personnes qui, en d'autres temps sombres, ont fait le choix coûteux de la désobéissance et de la résistance face à des forces puissantes - qui les qualifiaient d'ailleurs, évidemment, de "terroristes". Il se trouve qu'au-delà des itinéraires de randonnée et des sommets, le Vercors vit toujours dans la mémoire de cette action résistante célébrée notamment dans les musées et monuments, dans les visites, dans les guides...
Étant donné ce que le choix - évidemment politique et éthique - de continuer la lutte en dépit de son asymétrie signifiait vraiment pour ceux qui l'ont fait, il me semble étonnant que des personnes qui connaissent et apprécient ce massif extraordinaire, tant par son paysage que par son histoire, puissent réduire la randonnée dans le Vercors à un exercice de salutations policées forcément apolitiques dans un cadre d'une grande beauté. Il me semble étonnant qu'elles puissent balayer d'un revers de la main une tentative de réflexion sur les liens que l'on peut faire entre résistance à l'oppresseur durant la seconde guerre mondiale et la résistance à l'entreprise génocidaire qui se déploie au Proche Orient, tue et blesse sans discernement, y compris tant de civils et d'enfants. Bien sûr, il est fort possible que les marcheurs qui dénoncent une tentative de politisation insupportable du calme paisible et de l'atmosphère strictement apolitique de la montagne aient une lecture du conflit au Proche Orient relativement indifférente au martyr du peuple palestinien dont le dernier chapitre se déroule sur nos écrans depuis quelques mois. C'est notamment ce que l'utilisation du terme de "politique pro terroriste" par l'une des personnes critiquant l'initiative suggère.
Je pense cependant que les fantômes du Vercors, eux-mêmes d'anciens "terroristes", comprendront et apprécieront l'initiative de "repolitisation" du territoire qui leur servit de refuge et d'espace de lutte...
PS :
Pour ceux qui :
- résistent à l'apathie intellectuelle et morale et n'ont pas encore abandonné leur esprit critique et le droit (devoir ?) de citoyen d'un Etat démocratique de s'intéresser à la chose publique et au politique, en particulier dans des périodes sombres où des personnes largement sans défense sont attaquées par l'une des armées les mieux dotées et les plus puissantes de la planète ;
- souhaitent et pourraient s'y rendre, vous trouverez ici :
- Le lien pour l'inscription à la table ronde de mardi.
- Le lien pour l'inscription à la randonnée de jeudi.
- L'intégralité du programme de la Semaine pour la Palestine à Grenoble et dans ses alentours.
Remerciements:
Avec un remerciement pour les organisateurs/trices de cette semaine et de toutes ces activités qui sont, à l'opposé de toute accusation de "terrorisme", tant de manières d'exprimer pacifiquement son refus de la violence, son soutien à l'idée, simple et indiscutable, que les Palestiniens ont les mêmes droits que tous, en premier lieu celui de vivre.
Avec un remerciement ému pour les résistants du Vercors et d'ailleurs qui ont contribué à ce que la France demeure un État démocratique.
Avec un remerciement pour ceux qui nous encouragent à établir le lien entre ces luttes du passé et celles d'aujourd'hui.