La veille, Jean-François B., 74 ans, se trouvait à l’agonie. Ce matin, jeudi 20 octobre, cet ancien journaliste au corps usé par la maladie trouve la force de plaisanter. « Ci-gît le cadavre qui bouge encore d’un correspondant de presse à l’étranger », lâche-t-il d’une voix abîmée, depuis son canapé, pour saluer l’arrivée à son domicile parisien du docteur Clément Leclaire et de Jean-François Lanoe, infirmier, le binôme envoyé par l’équipe Pallidom – contraction de « soins palliatifs à domicile » – pour effectuer une visite de contrôle.

Mercredi, en début d’après-midi, un autre duo médecin-infirmier de Pallidom, Claudine Maari et Philippe Caudal, s’est rendu au chevet du patient à la demande d’un médecin coordinateur qui accompagne Jean-François B. depuis trois ans. Celui-ci se trouve alors en grande détresse respiratoire, mais refuse obstinément d’être hospitalisé. Que faire ?

Appelé à la rescousse, le binôme Pallidom négocie avec le patient une sorte « d’alliance thérapeutique » permettant son maintien à domicile par la pose d’un patch de morphine et une mise sous oxygène à haute dose pour diminuer l’inconfort et espérer stabiliser son état.

Des moyens qui manquent cruellement

C’est ce dont le docteur Leclaire est venu s’assurer, ce matin-là, avant d’envisager la suite. « Pallidom est un dispositif expérimental au sein de l’hospitalisation à domicile (HAD) à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) », explique-t-il, une fois la consultation terminée.

« Le principe est d’apporter, dans un délai court, des soins palliatifs mais aussi curatifs si nécessaires, à des patients en situation de détresse vitale qui veulent, malgré tout, rester chez eux ou dans leur Ehpad. Notre objectif est d’éviter leur transfert aux urgences, si on estime qu’il n’y aura pas de bénéfice », résume-t-il.

Ce dispositif innovant est né d’un constat scientifique : plus les soins palliatifs sont précoces et intégrés, plus grand est le bénéfice pour le patient, en qualité comme en temps de vie. Mais les moyens manquent cruellement. « Malgré cinq plans de développement, l’offre de la filière palliative reste très insuffisante, notamment lorsqu’il s’agit de traiter à domicile ces symptômes de détresse vitale que sont les difficultés à respirer, les douleurs importantes, les troubles neurologiques », souligne le praticien.

« Éviter le mal-mourir à l’hôpital »

D’où l’idée d’un petit groupe de médecins urgentistes et de soins palliatifs de mettre en place une structure dédiée « aux soins palliatifs d’urgence », née d’une réflexion sur « la manière d’éviter le mal-mourir à l’hôpital », poursuit le docteur Leclaire, un des soignants à l’origine du projet.

Lancé à la rentrée 2021, le dispositif réunit actuellement quatre médecins (en rotation sur un équivalent temps plein), quatre infirmiers, une cadre de santé et une secrétaire. Une équipe réduite pour couvrir Paris et les Hauts-de-Seine, soit un bassin de 3,5 millions d’habitants. L’équipe compense le manque de moyens – certaines visites s’effectuent en transports en commun faute de véhicules d’urgence – par la créativité, la passion du métier et la connivence.

« La concertation avec le patient pour toutes les décisions »

Après un an d’existence, le docteur Leclaire affiche une fierté certaine. « Au-delà des évaluations chiffrées qui valent à l’expérience Pallidom d’être reconduite pour trois ans, notre bilan montre que les soins palliatifs font sens, souligne-t-il. Ce sens est puisé dans la concertation avec le patient pour toutes les décisions qui construisent son projet de soin, au-delà de l’acte technique. Éviter l’obstination déraisonnable, notamment chez les personnes âgées, est ce que l’équipe partage de plus fort. »

Il est 17 heures et la réunion de service hebdomadaire vient de s’achever. Pendant plus de deux heures, l’équipe a passé en revue l’ensemble des patients visités pendant la semaine écoulée. Les uns se sont éteints paisiblement à la maison, certains n’ont pu éviter l’hospitalisation, les autres seront suivis pendant quelques jours par Pallidom, comme Jean-François B., en attendant qu’une autre structure prenne le relais.

Entre-temps, un appel est arrivé d’un Ehpad des Hauts-de-Seine pour une résidente de 102 ans dont l’état s’est aggravé et qu’il faut accompagner jusqu’à la fin. Une autre journée commence.

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Un an d’activité de Pallidom en chiffres

Depuis septembre 2021, le dispositif Pallidom a été sollicité 579 fois et a effectué 390 prises en charge qui durent, en moyenne, trois ou quatre jours.

Dans 70 % des cas, le patient décède, apaisé chez lui, dans les heures ou les jours qui suivent. Dans 20 % des cas, le patient s’améliore ou se stabilise. Dans 10 % des cas, le patient est transféré en unité de soins palliatifs. Il y a eu trois transferts aux urgences sur l’année.

Dans 6 % des situations, le recours à une sédation profonde a été nécessaire pour soulager le patient. Environ 5 % des malades pris en charge ont exprimé à un moment le souhait que leur vie s’arrête. Deux demandes d’euthanasie ont été formulées.